C’est dans une crypte sous Bruxelles, aux Halles-Saint-Géry, que François Deflandre, qui accompagne volontiers d’une exposition la parution d’une œuvre, évoque son dernier opus Le Cercle des Spectres , mais également ses BD précédentes Le Sang des Automates et Puzzle Gothique …
Comment est né Le Cercle des spectres ?
L’idée vient d’un coup de cœur de cinéphile. J’ai vu Mädchen in Uniform,un film allemand de 1931, mis en scène par une des premières réalisatrices de l’histoire du cinéma, Léontine Sagan. Elle était disciple de Max Reinhardt et admiratrice de Fritz Lang. Ce film raconte les amours d’une enseignante et d’une élève dans un pensionnat allemand où règne une discipline dictatoriale. Un sujet tabou mais aussi une métaphore du nazisme : ce fut un scandale monumental, le film fut interdit par Hitler et Léontine Sagan dut fuir en Angleterre. Cela m’a donné envie de développer ce climat-là en bande dessinée, en articulant mon histoire autour du thème de l’enseignement rigoriste et de ses dégâts, incarné par Miss Hurt, la directrice à la main de fer dans un gant … de fer.
Par ailleurs, Le Cercle des Spectres reprend le mode narratif de Puzzle gothique, à savoir le journal d’une femme de chambre : Eloïse est engagée cette fois par une Anglaise schizophrène dont la villa est voisine des ruines calcinées du Saint Jane’s Ladies College . J’avais envie de changer d’atmosphère : après la Toscane caniculaire de Puzzle Gothique, on passe à l’hiver angoissant d’une forêt anglaise …
Comme cela se passe en Angleterre, on s’attend à y trouver un manoir, mais au contraire ton décor est une maison de style moderne …
Je ne voulais pas trop tomber dans le cliché du manoir anglais. Ca m’intéressait de souligner le contraste entre une maison très moderne et ce vieux collège incendié, en ruines. L’idée de ces deux lieux opposés et isolés dans une vaste forêt enneigée, cela m’est venu assez naturellement, comme un décor qui me trottait dans la tête. Peut-être une réminiscence.
Autant les deux précédentes BD ( Le Sang des Automates et Puzzle Gothique) étaient des récits fantastiques, autant celle-ci possède un climat fantastique …
Oui, il y a un climat fantastique mais l’histoire est plus réaliste. Il y a une incursion dans le fantastique avec les spectres du Mémorial aux 18 disparues du collège, mais je n’ai pas voulu pousser trop loin dans ce registre, faire des fantômes le thème central, non, c’est plutôt une porte ouverte à l’imaginaire du lecteur, au cœur de l’histoire. Mon album précédent, « Puzzle Gothique » baignait dans une ambiance ésotérique et fantastique. J’aime bien changer de thématique et d’atmosphère d’un album à l’autre, ainsi le prochain sera consacré à l’univers du cinéma.
Tu parviens aussi à créer un climat particulier grâce à l’utilisation d’un papier de couleur ?
Pour chaque histoire j’utilise un papier de couleur et de texture différentes parce que j’aime bien que chaque album ait sa propre ambiance. Pour Le Sang des Automates, c’était un papier gris foncé pour une histoire sombre où crayons bleus et rouges se donnaient la réplique. Pour Puzzle Gothique j’ai choisi un papier couleur sable évoquant la Toscane, la lumière, l’été. Un ton qui faisait bien ressortir les ocres des scènes de jour et les bleus des scènes de nuit.
Pour Le Cercle des Spectres j’ai opté pour un papier aubergine dit« crépuscule » parce qu’il s’accorde avec l’atmosphère de l’histoire et les couleurs que j’ai utilisées, les rouges et les gris, cela contribue à renforcer l’ambiance oppressante de l’histoire. Mon éditeur soutient cette démarche, c’est une chance, car cela donne des livres pas évidents à imprimer, il faut pouvoir rendre le fond coloré, sa continuité de page en page et la technique délicate du bord perdu (non blanc). Pour l’utilisation du crayon de couleur, c’est intéressant d’avoir un fond autre que le blanc. En chromatologie, la couleur n’a pas le même rendu sur un fond blanc que sur un fond de couleur. Sa luminosité ressort beaucoup plus dans le second cas. Utiliser un même crayon de couleur sur fond blanc puis sur fond coloré, cela donne 2 couleurs différentes, pourtant c’est le même pigment.
Pour prolonger l’album tu crées une exposition, comme c’était déjà le cas avec Puzzle Gothique ?
D’une part, comme la première expo aux Halles-Saint-Géry avait bien donné, on a assez vite envisagé de renouveler l’expérience pour l’album suivant, en gardant cette idée de présenter le making of, la réalisation de l’album de A à Z , des sources de l’histoire jusqu’aux planches abouties, parce que ça peut intéresser les gens de voir que derrière une BD, il y a tout un travail, toute une élaboration qu’on ne soupçonne pas toujours.
D’autre part, il y a actuellement une telle surproduction dans la BD, chaque nouveauté chassant l’autre, que toute opportunité de présenter et de faire vivre le nouvel album auprès du public est positive. Enfin, cette crypte est un lieu magique et un peu mystérieux, au cœur d’un quartier de Bruxelles très vivant et très animé. C’est un bonheur d’exposer ici. Je suis d’ailleurs tombé des nues lors de ma première visite : la crypte ressemblait à celle de l’album Puzzle gothique !
Parlons de la couverture et de son importance ?
Chez Mosquito, la couverture est le fruit d’un dialogue entre l’auteur et l’éditeur, c’est un élément déterminant car elle doit accrocher l’œil, attirer le lecteur et être représentative de l’album. Dans la masse de BD qui sortent, le choix de la bonne couverture devient absolument déterminant. Certains ont regretté qu’Eloïse ne se trouve pas en couverture de Puzzle Gothique : nous avions choisi la scène médiévale, une histoire dans l’histoire. La couverture du Cercle des Spectres met en évidence le personnage d’Eloïse dans un décor énigmatique, le but d’une couverture étant d’intriguer mais sans trop dévoiler.
Et si on te demandait de reprendre une série connue, laquelle choisirais-tu ?
Reprendre une série connue, je ne suis pas sûr que je serais à la hauteur pour relever ce genre de défi, ni que cela me motiverait beaucoup. Pourtant, ce n’est pas les séries-cultes qui me manquent. Mon grand frère, de 8 ans mon aîné, avait tous les Tintin, mais seulement deux Spirou et Fantasio, un Johan et Pirlouit, un Gil Jourdan. C’est surtout ces 4 albums-là que j’ai dévorés et redévorés des yeux, avant même d’avoir l’âge de les lire et d’en compléter les collections, comme autant de collections de madeleines de Proust. A l’adolescence j’ai eu un flash : Jacobs, Blake et Mortimer, ces histoires fascinantes, cet art de rendre plus crédible le fantastique en le faisait surgir dans un contexte très réaliste. Une efficacité narrative redoutable ! Puis je me suis tourné aussi vers des BD moins classiques, comme Andreas, et d’autres encore.
Peux-tu élucider pour le lecteur le mystère de tes cases-vitrail ?
Au départ j’utilisais le« gaufrier » traditionnel, c’est-à-dire des cases droites sur fond blanc. A l’époque, j’avais réalisé pour un gros éditeur un projet qui m’avait demandé beaucoup de travail, une BD très documentée et réaliste, « L’Arme du Ciel » dont il avait même déjà produit les bleus de coloriage, et puis, à cause d’une valse de directeurs de collection - grand classique - le projet est tombé à l’eau.
Assez furax, j’ai immédiatement embrayé sur un autre projet - Le Sang des Automates - et là je me suis lâché ! Finis les dessins réalistes, les cases rectilignes, les techniques classiques : j’ai pris du papier couleur, des crayons de couleurs, et j’ai dessiné des planches « brutes », tracées à main levée, ce qui a donné ce style qui ondule. Ces « cases-vitrail » sont donc venues naturellement, presque sur un mouvement d’humeur, un coup de sang (c’est le cas de le dire), ce n’était pas du tout concerté ni réfléchi, mais ça correspondait sans doute à quelque chose d’authentique et de personnel.
Après, évidemment, il a fallu un rien « domestiquer » cet élan, l’organiser un minimum, le mettre en adéquation avec les nécessités de la narration. Et dans mes albums suivants, j’ai évolué vers plus de réalisme dans le dessin, mais j’ai continué à jouer avec les cadrages, les découpages, la mise en page, au point que parfois les cases se font puits, portes, armoires, trous de serrure …
Pour admirer le travail de François :