Série: SPIROU
Auteurs: SERGE CLERC
Editeur BD: Dupuis
Une chronique BD: Génération BD
SPIROU VERS LA MODERNITE ou l’ALPH’ART DE SPIROU
En 1977 le graphiste Joost Swarte offre au monde artistique deux définitions : la ligne claire et le style atome, termes d’une importance primordiale qui feront couler des fleuves d’encre. En ce qui concerne la ligne claire, la référence à Hergé est indéniable : contour du trait, simplicité et aplats de couleur. Donc uniquement de la bande dessinée.
En ce qui concerne le style atome, il définit ainsi un courant artistique, prolongation après-guerre de l’art nouveau et l’art déco. Pourquoi par Art Atome ? Nul ne le sait… Toujours est-il que ce courant connaitra son apogée à l’heure de l’expo 58’ et que par après on trouvera d’autres définitions pour le qualifier. Il ne lui reste donc plus que la bande dessinée… Là aussi le terme est loin d’être populaire, les auteurs du style sont rarement publiés, réservent dés lors leur verve aux illustrations de magazines. A part les éditions Magic Strip créées par les Pasamonik Bros, personne ne s’y intéressera vraiment…
Le style atome… Ceci n’est pas de la ligne claire, nous sommes en plein Magritte.
Voilà des dessinateurs comme Chaland, Benoit, Clerc, Ever Meulen, Swarte qualifiés de « néo ligne claire »…
Mais quel est donc ce terme barbare ?
Pourquoi le qualifier de néo alors que les auteurs cités ont démarré leur carrière dans les seventies ?
Prenons Chaland et Clerc, pour ne citer qu’eux, ils sont davantage influencés par l’école de Marcinelle et ses deux leaders incontestés : Jijé et Franquin. La mouvance Spirou.
Le fantasque Spirou face au pragmatique Tintin.
Pourquoi dés lors parler de ligne claire ? Chaland, Clerc et les autres ont ceci en commun : la clarté de leur graphisme et le mouvement.
Tintin = clarté
Spirou = mouvement
Tintin + Spirou = style atome
CQFD
Vu l’époque à laquelle le terme a été inventé, on peut définir le style atome comme le mouvement new wave de la ligne claire.
Le voici de courant artistique majeur d’après-guerre réduit à un sous-courant de bande dessinée !
Mais le décès de Chaland signe le glas du style atome qui s’extrait du cadre trop étriqué des cases BD pour s’épanouir sous forme d’illustrations et couvertures de magazines.
Et non des moindres…
Le style atome a-t-il vécu ? Non, on le cache, on le camoufle sous d’autres épithètes comme ce néo ligne claire.
Voilà un terme « barbare » qui m’a fait bondir tel le capitaine Haddock éméché à qui on a brisé sa bouteille de rhum…
C’est indiqué à la première ligne en quatrième de couverture de Spirou vers la modernité de Serge Clerc aux éditions Dupuis.
Tintin contre Spirou. La bataille fait rage depuis des décennies. Il y a eu des hauts faits d’armes, des transfuges d’auteurs, les dessins animés, le cinéma, la disparition du journal Tintin transformé en éphémère Hello BD, la mort des grands anciens : Hergé, Jijé et Franquin. Au tournant du siècle Tintin, géré comme une multinationale, a été transformé en produit de luxe tandis que Spirou fait dans l’échangisme pour la procréation de sa propre espèce.
En effet, pendant que le gars à la houppe gère son fond de stock, le groom choisit un traitement à la comics, il ne jurera plus fidélité à un seul de ses dessinateurs.
Il est vrai qu’après Franquin, il y a eu des années de flottements jusqu’à ce que Tome et Janry mettent de l’ordre dans tout cela. Ils modernisent le personnage avant de montrer à leur tour des signes d’épuisement, suite de mauvais choix artistiques : lifting brutal du personnage et scénarii à la limite de la limite…
Spirou s’inscrit dés lors en filière libre et est placé entre les mains de ceux qui osent s’y frotter : Bravo, Schwartz, Le Gall, Munuera… et s’y piquer : Tarrin, Trondheim & Parme.
Seule exception, Chaland qui aura eu sa chance avant les autres mais se heurtera à la censure de Dupuis…
Une septantaine d’années après son apparition dans les pages du Moustique, tout comme son ennemi juré Tintin, Spirou se frotte au monde de l’œuvre d’art. Tintin n’en reviendra pas et Spirou ne vivra pas une aventure au pas de course, mais sera confronté aux œuvres d’artistes qui ont fait que le vingtième siècle ne sera pas seulement celui de la bombe atomique et du génocide humain. On citera pêle-mêle The Clash, Picasso, Noguchi, Kandinsky, Man ray, Lichtenstein et même Franquin.
Alternant illus bi-chrome au look d’affiches modernes et crayonnés, le groom semble parfois être possédé par le docteur Franquin et Mister Jijé avant d’être rattrapé par le trait typique de Serge Clerc.
La ligne Clerc.
Spirou évolue à présent dans le monde de la modernité.
Spirou devient une oeuvre d’art.
Tout comme Tintin est le personnage emblématique de la ligne claire, il semblerait que Spirou soit devenu celui du style atome.
Shesivan
*Rappelons que Chaland et Clerc partageaient la passion de la musique Punk et New Wave. Ils furent présentés l'un à l'autre par PhilMan lors d'un concert des Stranglers... (si vous ne savez pas qui est PhilMan, vous sortez).