Interview BD "François Avril" - Expo "Cities"

Interview BD: François Avril

Interview BD:

François Avril
dessinateur

à l'occasion de l'expo "Cities"


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François Avril est à l’image de son œuvre, posé et fragile à la fois. Une expo lui est consacrée dans la toute nouvelle galerie Champaka, à quelques mètres du Sablon, entre antiquaires et marchands d’art, histoire de faire savoir à tous que la BD EST le neuvième art… Champaka, ce sont deux étages consacrés à des planches et illustrations de BD, noyés dans la luminosité d’une belle verrière, sous la houlette d’Eric Verhoest qui tel Obelix a dû tombé dedans quand il était petit… Mais revenons à François Avril qui revient à Bruxelles un an après avoir exposé à Brüsel. Même thème : les villes. Avril saisit l’âme des rues, la mâchouille, la digère et la recrache, à sa façon…
Une interview par Shesivan où il sera question de bande dessinée, de l’Atomium et de minimalisme…


Shesivan : L’expo qui aura lieu de 10 juin au 18 août à la galerie Champaka s’intitule « Cities »… Une fois de plus une exposition sur les villes ? Seriez-vous un rat des villes ?

François Avril: La ville est mon univers… J’habite à Paris, dans le 9 ème… j’ai toujours habité dans les villes… je m’y sens à l’aise, c’est mon cadre, mon terrain de jeu…
J’habite en dessous de la butte Montmartre, la frontière avec Barbès métissé, Pigalle plus chaud… c’est une vie de village… je m’y sens bien…



Sh : L’année passée (mai 2009) la librairie Brüsel exposait des illustrations de Bruxelles. Qu’aimez-vous dans Bruxelles ?

F.A. : Bruxelles était la ville de la bande dessinée… Là que « ça » se passait… Comme je venais de la bande dessinée… Venir à Bruxelles c’était exotique pour moi il y a quelques temps… on changeait de frontière, on changeait de monnaie… parfois on entendait parler différemment, on mangeait des choses différentes, l’architecture était différente, les grandes fenêtres des maisons étroites, les bow window, j’ai aimé… Yves Chaland m’a fait connaître cette ville, il la dessinait beaucoup… mon premier bouquin était chez Magic Strip, un éditeur bruxellois (Doppelganger S.A.), dans la collection Atomium… L’Atomium est un engin étonnant, fabuleux (je suis content que vous l’ayez restauré) c’est votre tour Eiffel et je trouve qu’on ne la connait pas encore assez… c’est un beau monument, tellement moderne, tellement drôle… Bruxelles c’est une vieille histoire d’amour…
Je dessine aussi New York parce que j’ai été impressionné, Tokyo, j’y ai été sept fois, j’y ai travaillé, dessiné… j’ai un agent là-bas.
Mais Bruxelles ! Je pensais y vivre… Ever Meulen habite avenue de Mai et il m’a dit qu’il y avait plein d’avenues portant des noms de mois, qu’il y avait une avenue avril… Je lui ai demandé de me faire une photo du numéro 11, mon chiffre fétiche… Après avoir vu la photo, je lui ai dit que si un jour cette maison était à vendre, j’irais habiter au 11 avenue d’Avril, me disant que ce serait amusant d’être dans « ma » rue…



Sh : Quand vous partez en « chasse » avec votre carnet de croquis dans une ville, vous flânez au hasard ou vous avez des objectifs, des idées préconçues ?

F.A. : Cela m’est arrivé d’avoir à dessiner quelque chose de précis mais je ne me balade pas vraiment avec un carnet de croquis… je dessine très rarement sur place… Je suis témoin d’une scène, je me rends dans un café, je dessine ce que j’ai vu…
Quand je suis sur place il y a trop d’éléments, je me perds un peu dans tout ce qu’il y a à dessiner… quand je regarde attentivement, je capte l’esprit, la composition, la perspective… dés que je dessine, ma mémoire a enlevé tous les détails, je ne garde que l’essentiel et après je peux revenir, remettre des petits détails qui forcément n’existent pas mais que peux observer dans l’image, des petites actions, une voiture… je remets de l’anecdote …
Ma mémoire fait office de filtre, elle enlève tout ce qui pourrait être trop (de détails)… Je ne prends pas de photo sauf pour assurer quand j’ai un doute mais si j’ai la photo il y a trop de choses…



Sh : Vous exposez dans des galeries prestigieuses de tous les coins de la planète … et la BD dans tout cela ? Vous considérez-vous toujours comme un auteur de BD ?

F.A. : Exactement, je me considère toujours comme un dessinateur de BD qui, étonnement, ne fait pas de BD… J’ai un projet qui traîne depuis quatre ans, dans la collection Aire Libre de Dupuis, un scénario de Ted Benoit, j’ai fait 25 pages mais je suis là à hésiter Huh
Ce n’est pas que je sois lent, je dessine rapidement mais je doute parce que si je me remets à la BD il faut que ce soit pertinent, je ne suis pas comme un auteur qui ne fait que ça, qui sort des albums, on m’attend au tournant… J’ai beaucoup de respect pour la BD, j’ai des amis dans la BD, mes murs sont tapissés d’originaux, des planches que j’aime. C’est mon univers et oui, je me considère comme un auteur de BD…
Quand je dessine une image, elle est narrative, elle raconte chose… je pense ne pas avoir la discipline nécessaire pour faire un bon auteur BD… c’est un travail de titan, sans lever le nez pour faire avancer les planches…
Je suis impressionné par les auteurs de Bd comme André Juillard qui dessine avec régularité…


Sh : Vous parlez des auteurs qui utilisent l’ancienne méthode, la méthode traditionnelle… La nouvelle c’est… Photoshop !

F.A. : Ah non ! Moi je suis attaché au papier... j’aime choisir mon papier, mon crayon, l’encre, ma peinture, les aquarelles… les VRAIES matières… Il m’est arrivé de faire des illustrations pour des magazines que je scanne après avoir fait le dessin au trait noir. Ensuite je mets en couleur par Photoshop… J’ai besoin de faire un vrai dessin…
J’ai des amis qui ne dessinent qu’à l’ordinateur, cela les a décomplexés. La feuille blanche les bloquait… avec le programme on peut revenir en arrière… une sorte de soupape de sécurité, ce qui fait qu’ils sont terriblement à l’aise pour produire des images et ils en produisent d’étonnantes.. Mais je suis plutôt « old school », vieille école…


Sh : vous avez besoin de toucher !

F.A. : Exactement ! Quand j’ai besoin de faire de la peinture, j’ai besoin de me redresser.. Je me suis aperçu que les dessinateurs de BD dessinaient toujours à la même échelle, dés qu’ils dépassaient le cadre du format A3 cela devenait trop grand pour eux et moi j’ai besoin de dessiner des grands formats - ce n’est pas le même geste - pour rompre la monotonie, c’est-à-dire se déplacer, se reculer, bouger…
Des fois il m’arrive de poser des taches sur les feuilles et de voir ce que je peux en faire pour en faire un dessin… ne pas toujours avoir cette même méthode toujours très bande dessinée, le crayonné, encrer le crayonné, faire la mise en couleur, toutes ses étapes qui sont très BD, parce que c’est comme cela qu’on fait une BD, je n’aime pas la BD trop jetée, trop enlevée… En Bd il faut maîtriser le récit, la narration, la suite des actions. Cela demande un gros travail. La BD trop instinctive ça va ça va mais pas sur la durée d’un album… cela fait trop exercice de style. Il y a beaucoup de gens qui me verraient faire de la BD plus vers l’exercice de style. Je préfère la classique, me plier à une sorte de discipline… le classique est fait pour durer…


Sh : comment qualifiez-vous votre style ?

F.A. : Réaliste, stylisé… plutôt réaliste parce que je suis tenté par l’abstraction, elle m’inspire mais je reste définitivement figuratif, stylisé parce que je vais à l’essentiel… J’enlève, je supprime le superflu pour ne garder que l’essentiel… « Less is more » le moins c’est mieux.. feu l’amstellodamois Kees Kousemaker, de la galerie Lambiek m’avait dit : « Moins tu fais de traits sur le papier mieux c’est ». Cela m’avait perturbé. Je m’étais dit : « Mince faut pas exagérer quand même » mais cela m’est resté et je comprends ce qu’il veut dire à présent. Parfois je suis tenté de faire des dessins où j’en rajoute et en fait c’est une solution de facilité de faire des dessins compliqués, on noie les faiblesses dans l’accumulation… Parfois je fais des dessins un peu compliqués pour montrer que je peux dessiner autrement… mais parfois une ligne, un point suffirait pour faire mon bonheur…
En définitive, j’en fais suffisamment pour suggérer, pour raconter et enlever, mettre le moins possible, être économe au maximum, concis…
On m’a demandé un avis sur Hugo Pratt et j’ai répondu que l’album qui m’avait beaucoup marqué quand j’étais plus jeune - mais je ne savais pas à quel point - c’était « Jésuite Joe ». L’histoire se lit très rapidement, il y a très peu de dialogues, les scènes, le dessin est très minimal, stylisé… Je me suis reconnu là dedans, c’est exactement vers cela que j’aime tendre, en fait vers quelque chose d’un peu épuré, dire le maximum de choses avec le minimum de moyens…



« Cities » de François Avril
Galerie Champaka
27, rue Ernest Allard
du mardi au samedi de 11h00 à 18h30
le dimanche de 10h30 à 13h30


http://www.galeriechampaka.com/

Shesivan



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