Interview BD:
Marini
dessinateur
Desberg
scénariste
à l'occasion de la sortie de "Le Scorpion # 9"
Editeur:
C’est dans les locaux de Dargaud que Shesivan s’entretient avec Enrico Marini et Stephen Desberg à propos du Scorpion, ses femmes, son destin, mais aussi des projets respectifs des auteurs…
Shesivan : Enrico Marini, Stephen Desberg, les femmes sont-elles le point central du « Masque de la vérité » ?
Stephen Desberg : Elles jouent un rôle important mais en sont-elles le point central ? Il n’y a pas que les femmes mais tous les personnages bougent dans cet album… C’est vrai que Mejai et Marie-Ange ont un rôle important… mais comme les autres personnages. C’est l’impression que cela vous a donné ?
Shesivan : J’ai l’impression qu’elles placent leurs pions, comme aux échecs…
Stephen Desberg : C’est clair que les trois personnages féminins aiment le pouvoir et cherchent avant tout leur intérêt… Ce serait bien d’avoir dans la série un personnage féminin différent, moins axé sur le pouvoir, plus fidèle… Une femme qui donnerait une vraie alternative au Scorpion…
Enrico Marini : C’est son fantasme (rires)
Stephen Desberg : On en discute… peut-être pour la suite, quand ce cycle sera bouclé…
Shesivan : Donc vous ne savez pas dans les bras de quelle femme le Scorpion va finir ?
Enrico Marini : Il ne va pas finir avec une femme, il va finir avec un homme… (rires)
Shesivan : Une fin tout à fait inédite !
Stephen Desberg : Sur ce plan la série est très ouverte…
Enrico Marini : Tout dépend de qui vivra le plus longtemps : le scénariste ou le dessinateur (rires). Ca lui fera du bien de tomber sur une femme plus sincère. Nous même avons du mal à gérer les trois filles présentes…
Shesivan : En fait il y a une quatrième femme, sa mère…
Enrico Marini : Oui, elle joue un rôle important… Peut-être qu’un jour nous raconterons l’enfance du Scorpion, un hors série, histoire de résumer tout ce que nous avons déjà évoqué par des flashbacks. Ce sera l’occasion de retrouver des personnages de son passé, son expérience avec Marie-Ange, sa relation avec son grand père…
Shesivan : A qui avez-vous pensé en imaginant le scorpion ?
Stephen Desberg : Enrico avait fait des croquis de Eroll Flynn, de Zorro, il y avait des envies de cape et d’épée. Nous avons la même culture cinématographique, les anciens films des années 50, 60 Hollywood, des films comme Scaramouche…
Shesivan : C’est vrai qu’il a un air de Steward Granger…
Enrico Marini : Il fait partie de ces acteurs qui m’ont inspiré…
Stephen Desberg et Enrico Marini : On venait de finir « L’Etoile du désert », un western crépusculaire et nous voulions quelque chose de plus léger, retrouver l’esprit Dumas… un genre de trois mousquetaires, nous avions même pensé à l’adapter…
Stephen Desberg : J’étais d’accord de faire quelque chose de populaire, mais par rapport au public qui avait apprécié « L’Etoile du désert » faire quelque chose de trop léger était aller trop loin dans l’autre sens... De la légèreté mais du sombre aussi… A propos du Scorpion, dans ce cycle-ci c’est très sombre à partir du tome 7… fatalement le tome 10 ne sera pas marrant puisqu’on va dévoiler des enjeux importants, les origines du Scorpion. Mais les prochaines aventures seront moins sombres…
La création du Scorpion est le fruit d’envies, de beaucoup de discutions durant deux ans. C’est chouette de travailler comme ça, souvent on n’a pas le temps on se lance dans un projet et il faut aller vite… Avoir le temps de réfléchir est un atout pour une série, faire sereinement le point sur les envies de chacun, laisser décanter… aussi pour éviter le syndrome de la série qui démarre bien et dont ses auteurs sont dépassés par le succès…
Shesivan : Enrico Marini, pour les « Aigles de Rome » vous êtes seul aux commandes. Quelle est la différence entre être son propre scénariste et avoir « son » scénariste ?
Enrico Marini : C’est du travail en plus… plus d’effort… c’est un métier que je ne connaissais pas. Il y a une différence entre écrire des scénettes et une histoire de 44 pages ! Il faut assumer. C’est aussi un plaisir, je suis plus libre, je ne dois pas faire de concessions… Quand on est seul on peut faire ce qu’on veut, mais ce qui manque après c’est la distance par rapport à l’histoire, la critique constructive…
Je voulais vraiment savoir si j’étais capable de faire cela tout seul. J’ai fait lire mon scénario à l’éditeur ainsi qu’à des copains dessinateurs… J’ai évité les scénaristes afin qu’ils n’y mettent pas leurs touches. Les dessinateurs m’ont encouragé et l’éditeur a été rassuré parce que la base du scénario était bien découpée, bonne… En fait j’ai réalisé que j’aimais bien faire cela…
Shesivan : « Les Ailes » ont le même décor que le Scorpion : Rome ?
Enrico Marini : Oui, c’est une façon pour moi de parler de l’histoire de mon pays. J’aime l’antiquité. L’histoire des « Aigles de Rome » se base sur un fait réel mais j’aurais très bien pu la transposer dans une autre période. C’est une histoire universelle, comme le Scorpion, d’ailleurs, intemporelle… Nous sommes catalogués cape et d’épée mais lus par un public plus large, qui n’aime pas forcément ce genre mais est intéressé par l’intrigue…
Shesivan : Le Scorpion a un côté comics, Batman, Spiderman ?
Stephen Desberg (hésitant): Mouais un peu des deux, ce n’est pas un surhomme…
Shesivan : Batman non plus…
Enrico Marini : Est-ce inconsciemment ou consciemment ? Dés l’enfance j’ai baigné dans ces comics… Spiderman et Batman étaient mes préférés. Pour le Scorpion, Batman a été une source d’inspiration, comme Zorro, comme les trois mousquetaires, d’Artagnan… tellement de sources d’inspiration… Bien sûr le Scorpion en temps que justicier et créature de la nuit « fait » Batman. Il a aussi un côté Montecristo, il a soif de vengeance et est décidé à aller jusqu’au bout. Il a monté un piège pour faire face à Trebaldi et lui faire avouer la vérité…
Première apparition du Scorpion dans le premier album. Un petit air de famille, non ?
Shesivan : Parlez-nous des nouvelles couvertures éditées à l’occasion des dix ans de la série ?
Enrico Marini : C’est de l’acrylique sur toile, uniquement pour le tirage limité spécial 10 ans. Je me suis amusé à peindre ces couvertures en utilisant une technique que je ne connaissais pas. Cela m’a donné envie de faire des portraits, de revenir à la peinture pour réaliser des illustrations, des couvertures…
Shesivan : Stephen Desberg, vous avez combien de séries en train ?
Stephen Desberg : Il n’y en a pas 36 (il en cite 35 ) hein ! IRS, Black Ops dont le cycle est terminé, Cassio idem et les All Watchers… Bientôt une deuxième saison de « Empire USA », un projet avec Griffo qui paraîtra l’année prochaine (« Sherman » aux éditions du Lombard – coll. Troisième vague) … ce sont des projets bouclés, sur lesquels je travaille pendant un certain temps jusqu’au bout. « Sherman », j’ai écrit les six épisodes… J’aime bien travailler de cette manière…
Shesivan : J’ai l’impression que vous êtes partout !
Enrico Marini : Moi aussi ! Expliques-toi un peu (rires)
Stephen Desberg : C’est vrai qu’il a y eut beaucoup de parutions ces derniers temps, les IRS, par exemple.. mais je ne fais pas plus que ce que je faisais avant !
Shesivan : « Empire USA », c’était votre « 24 heures chrono » à vous ?
Stephen Desberg : La première saison j’ai voulu me calquer sur le principe du feuilleton américain, pour moi c’était un point de départ l’histoire de la bombe qu’il fallait arrêter… je n’ai pas réalisé que c’était proche de 24 heures… Tout le monde s’est focalisé sur ce pitch… Sur ce plan ce n’est pas tout à fait ce que je voulais faire… Cela dit la série a bien fonctionné, n’empêche que je suis plus satisfait du scénario de la deuxième saison*… Ce qui m’inquiétait le plus était que le lecteur ne retrouve pas les personnages en fonction des dessinateurs… j’ai insisté pour qu’il y ait un grand dénominateur commun, tout le monde s’est calqué sur ce que Griffo a fait au début et finalement je n’ai pas entendu un lecteur dire que cela posait un problème de passer d’un album à l’autre... Pour la deuxième saison, le motto a été : « respectez les personnages mais faites ce que vous avez envie de faire dans votre style. » les dessinateurs discutent entre eux, s’envoient des trucs mais l’idée est que chacun soit plus personnel…
Shesivan : Enrico Marini, quel était votre rôle dans cette série ?
Enrico Marini : Aucun ! Ils ont utilisé mon nom pour la vendre (rires). Stephen Desberg m’avait demandé de dessiner les personnages car je n’avais pas le temps de faire un album. Finalement seuls quelques personnages ont vraiment été utilisés, notamment par Henri Reculé… Il y avait la fille, le héros qui est finalement devenu le méchant et en fin de compte c’est Henri qui s’est chargé de reprendre les personnages*.
Mon rôle, ce n’est pas la peine d’en parler, il est minime… si j’avais eu plus de temps… Cela demande du travail de créer des personnages car il ne suffit pas de faire un dessin, il faut les montrer dans des situations différentes, faire des « model sheet ». Tout le mérite va en fait à Henri qui a fait beaucoup !
Stephen Desberg : Dans la deuxième saison, les personnages ont été mieux répartis.
Shesivan : La deuxième saison de « Empire USA » va-t-elle paraître de la même manière que la première ? En rafale tous les quinze jours ?
Stephen Desberg : Non, le délais de parution sera plus long. Les deux premiers sortiront en juin… les six sortiront en six mois. La première saison était sortie à une période où les gens étaient beaucoup sollicités du côté portefeuille… Dans l’ensemble cela c'est bien passé… Cependant, dans le microcosme de la BD, la réaction a été négative parce que on s’est dit que si le projet fonctionnait ce serait la porte ouverte à ce genre… ce qui est un peu le cas maintenant ! Il y a d’ailleurs beaucoup de thèmes avec des dessinateurs différents… C’est la quadrature du cercle, les lecteurs en ont marre de séries qui durent des années, ils sont pressés de voir la fin et d’un autre côté ces mêmes lecteurs vous accusent de vouloir faire du fric en présentant des projets comme « Empire ».
Vous êtes en première ligne de par « votre » site internet***… Le public du net est un public jeune, ado adulte qui a tendance à consommer très vite… Je vais de temps en temps prendre la température sur internet et constate que ce sont des gens qui lisent à toute allure des tas de trucs pour pouvoir vite donner leur avis et engager des discutions sur les forums. J’estime que cela a tendance à être assez agressif et pas que pour la BD, pour les jeux video, les films… A l’heure actuelle, on consomme très vite, on donne son avis puis on passe à autre chose.
En tant qu’auteur ce n’est pas évident d’encaisser ça, cela met du temps à réaliser une BD, on y met beaucoup d’amour, d’énergie et finalement cela existe peu de temps… Quand on regarde les critères des commerçiaux ce ne sont plus les ventes qui comptent, c’est la vitesse de rotation des bouquins, les statistiques… Tout est axé sur la vitesse !
Nous n’ignorons pas cette partie du public mais qui est extrêmement impatient. De l’autre côté, nous avons notre public classique qui n’a pas envie qu’on se presse avec le Scorpion, il admet qu’on prenne notre temps…
Enrico Marini : il y a un public qui ne veut pas que cela s’arrête. Je suis comme ça aussi, quand une série télé m’intéresse je n’ai pas envie de savoir que la fin approche. En même temps, au bout d’un moment il faut boucler, mais quand j’ai du plaisir avec quelque chose je veux pouvoir le savourer. Avec le Scorpion, nous avons entre douze et seize albums de prévus… mais sans doute plus si on a envie de raconter d’autres aventures…
Shesivan : Je vais vous laisser prendre votre train…
(En effet, une demi-heure plus tard, Enrico Marini et Stephen Desberg traversaient la rue pour s’engouffrer dans la gare du midi afin de prendre le TGV pour Paris. Ils étaient les invités d’honneur au vernissage d’une exposition Scorpion à la galerie « 9 ème Art ». Voici le lien : http://www.galerie9art.com/)
*Henri Reculé a fait le tome 6 de la saison 1 de « Empire USA ». Egalement auteur de « Cassio », il travaille actuellement sur le volume 1 de la deuxième saison de « Empire USA » . http://www.henrirecule.com/
**Malgré le fait que Stephen Desberg veuille éviter la comparaison avec la série télé « 24 heures chrono », il parle bien de saison et non de cycle… Lapsus ?
***Pas de panique Stephen, Génération BD est un site pèpère pour les gens pèpères… Nos chroniques ont le mérite d’être authentiques, nous prenons le temps de savourer les bandes dessinées et nous les traitons avec respect, ainsi que leurs auteurs.
Shesivan
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