Contrairement à ce que l’on croit généralement, le dessinateur de BD ne se met pas en hibernation ou en mode pause entre deux BD. Figurez-vous qu’il a d’autres occupations…
Nicolas Vadot est surtout un dessinateur de presse, activité qui l’incite à bondir sur la vague de l’actualité et ne pas laisser de l’eau couler sous les ponts. Mais en ce qui concerne sa bande dessinée, il est plus cool, il laisse le temps aux idées de mûrir et il lui arrive même de changer de direction quand il lui en arrive de meilleures. Nicolas Vadot nous livre donc ces albums étranges, limite fantastique, à son rythme. Dans « Maudit mardi » son personnage principal, enraciné sur une plage, apprend de la bouche d’une mouette qu’il mourra un mardi. Mais lequel ? Il coupe donc littéralement ses racines et prend le chemin de la grande ville afin de rejoindre celle avec qui il correspond depuis des années… Plus, je ne vous en apprendrai pas, Nicolas Vadot laisse le temps à l’histoire de se développer, dans ce style graphique qui est désormais sa marque de fabrique, le crayonné scanné retravaillé en couleur à la palette numérique. Le résultat est parfois assez surprenant, très poétique, ici. Et dire qu’il faudra attendre un an avant de connaître la suite et fin de cette histoire ! Les édinautes de Sandawe ne se sont pas trompés en accordant leur contribution à « Maudit mardi », dont le tome deux vient d’aboutir à son financement : 56.000 €au total, ce qui vous donne le prix réel d’un album. Patrick Pinchard, initiateur et patron de Sandawe est un homme heureux et satisfait. Après quelques problèmes informatiques, son site a redémarré en flèche et après le présent album il y a encore « Il Pennello » d’Allais et Perottin qui sortira dans la foulée ainsi qu’un western fantastique intitulé « Hell West », de Vervisch et Lamy (à qui nous devions déjà Colt Walker)
Sandawe atteint enfin son rythme de croisière et Pinchard espère pouvoir à l’avenir sortir quinze albums par an.
En attendant, cette maison d’édition qui grimpe qui grimpe devance tous ses concurrents en sortant deux albums quelques jours avant la rentrée, histoire de prendre le pas sur cette marée littéraire qui va nous submerger en septembre, pauvres lecteurs mais aussi pauvres chroniqueurs, intervieweurs etc.
C’est au CBBD que Shesivan a rencontré Nicolas Vadot pour un petit quart d’heure d’entretien. Il y a même trois minutes de film…
Hum hum…
Shesivan : Quelques mots à propos de « Maudit mardi » ?
Nicolas Vadot : C’est l’histoire d’un homme qui apprend quel jour de la semaine il va mourir, un mardi mais il ne sait pas lequel. Conséquence : le mardi il a peur que le ciel lui tombe sur la tête et les autres jours de la semaine il se sent indestructible…
Shesivan : Aaarghl ! Nous sommes justement un mardi !
Nicolas Vadot : Oui, nous sommes un mardi et le ciel nous est tombé sur la tête (la fameuse drache qui s’est abattue sur notre plat pays), on est toujours vivant mais cela commence à me poursuivre, les gens ont vu ça et ils me disent qu’il va m’arriver quelque chose un mardi. S’il m’arrive vraiment quelque chose un mardi vous imaginez les mises en abîme ? Ca va être terrible !
(Pour ceux qui ont fait le film, Shesivan se paie un blanc et s’en prend au caméraman)
Shesivan : Pourquoi Sandawe ?
Nicolas Vadot : Parce qu’aucun éditeur ne voulait de mon projet ! Je me suis retrouvé chez Sandawe et j’en suis très content, c’est un apport totalement différent au lectorat puisque c’est un album qui existait avant d’exister en vrai, financé avant d’exister et il a fait le buzz sur la toile avant d’arriver en libraire. Il est très attendu aussi bien par les lecteurs que par les « édinautes », les investisseurs. C’est une nouvelle manière d’inventer la BD et même le marché de la BD.
Shesivan : Le tome deux est pratiquement financé ?
Nicolas Vadot : Oui, il est en passe de l’être, c’est une affaire qui roule. J’en ai fait sept planches, il sortira en principe à la même époque l’année prochaine.
Shesivan : Vous attendez d’abord qu’il soit financé ?
Nicolas Vadot : Non, j’ai commencé avant en me disant qu’il y avait de fortes chances qu’il soit financé. Le tome 1, j’avais déjà fait une quinzaine de planches avant qu’il soit entièrement financé, donc je n’ai pas attendu - cela prend du temps de faire de la BD - il fallait qu’il sorte rapidement pour que les gens n’oublient pas !
Shesivan : Vous faites surtout du dessin de presse, comment êtes-vous arrivé à la BD ?
Nicolas Vadot : J’ai fait St Luc, à l’ERG en BD mais j’ai fait très vite du dessin de presse parce que cela me permettait de parler de l’actualité tout en dessinant, chose que j’aimais faire (L’Express depuis ’93) Mon vrai métier est dessinateur de presse et la BD c’est un plus, une sorte de laboratoire, je fais les deux conjointement…
Shesivan : L’actualité vous inspire t-elle pour votre BD ?
Nicolas Vadot : Non, parce que quand je fais de la BD j’essaie de faire autre chose que ce que je fais en dessin politique, j’ai un recueil de dessins de presse qui paraît dans une semaine, ce sont deux personnalités différentes, mais j’ai besoin de faire les deux…
Shesivan : Les dessins varient selon votre « boulot » ?
Nicolas Vadot : Oui, deux techniques : le dessin de presse c’est de l’encrage, la BD du crayonné… C’est mon côté Jeckyl et Hyde, les gens ne comprennent pas forcément comment je peux passer de l’un à l’autre, je passe de l’un à l’autre sur la même journée mais j’ai besoin de faire les deux, ça m’amuse !
Shesivan : Quand on vous a découvert avec « Norbert l’Imaginaire » vous aviez un style tirant sur la ligne claire ?
Nicolas Vadot : « Norbert l’Imaginaire » c’est ce qui se rapproche le plus de mes dessins de presse parce que c’est très politique comme série, c’est quand j’ai commencé « 80 jours » (Casterman) que j’ai changé de style, j’ai développé ma technique de crayonné.
Shesivan : Vous aimez pratiquement le genre d’atmosphère surréaliste ?
Nicolas Vadot : Pas surréaliste, un peu fantastique… une lisière entre le réalisme et le fantastique assez ténue que j’ai voulu exprimer en BD…
Shesivan : D’autres projets en cours ?
Nicolas Vadot : Mon tome deux, une intégrale de « Norbert » qui sortira en mars prochain, augmenté d’un album inédit, le brouillon de la série intitulé « le Dépresseur », un recueil sur Sarkozy pour les présidentielles de 2012 et plus mes dessins à l’Echo et au Vif, cela fait déjà beaucoup de choses. J’aurai aussi une expo au musée de l’armée sur les dix ans du onze septembre, qui est le sujet du recueil qui sort cette semaine à la Renaissance du Livre. J’ai de quoi m’occuper !
Shesivan : Vous ne vous ennuyez pas, hein !
Nicolas Vadot : Non !
Shesivan : «Norbert l’Imaginaire », au départ vous êtes seul à l’origine du projet ?
Nicolas Vadot : Oui ! J’ai tout d’abord fait un album qui faisait 55 pages en couleur directe, les aquarelles, les gouaches. Il a été refusé par tout le monde. Ensuite j’ai rencontré Olivier et nous l’avons retravaillé, un processus assez long… Au départ je l’imaginais plus sombre, il a inventé des personnages, restructuré l’histoire… On a remis cela sur « 80 jours » et depuis je suis tout seul… Je lui ai proposé de travailler sur « Maudit mardi » mais il n’avait pas le temps…
Shesivan : Quel est l’idée de base de « Maudit Mardi » ?
Nicolas Vadot : J’avais l’idée de quelqu’un en manque de racines, ce qui est assez mon cas. J’ai rêvé de ce type qui a véritablement pris racine, mais je ne savais pas trop quoi en faire, comme il ne pouvait bouger ! Ensuite j’ai eu l’idée du maudit mardi, j’ai mélangé les deux et c’est devenu cet album !
Shesivan : Quand vous parlez de vos racines, vos parents sont français et anglais mais vous êtes aussi de nationalité australienne !
Nicolas Vadot : Oui, parce que j’ai épousé une Australienne. J’ai vécu six ans en Australie et je suis rentré à Bruxelles il y a un an, j’ai un pedigree assez varié. C’est aussi un des sujets de mon ouvrage, ce sont des choses qui se forment dans ma tête, un magma qui mijote pendant quelques années et qui finalement devient un scénario, que j’écris pendant une semaine… Je l’écris comme une pièce de théâtre, les situations, les dialogues… Pas planche par planche.
Une fois rédigé, je le laisse de côté durant une semaine, je le corrige et après je le dessine…
Mais c’est la partie immergée de l’iceberg car l’album suivant je ne pourrai vous dire ce que c’est, j’ai des choses qui viennent dans la tête et qui vont donner un jour ou l’autre aboutir à une histoire. Je peux me permettre comme un vigneron de laisser le temps au raisin de devenir du vin, je peux me permettre de ne pas sortir un album parce qu’il faut en sortir un par an. Je vais à mon rythme, quand je veux mais une fois que je suis sur un album je ne le lâche plus, j’y travaille !
Comme mon temps est minuté, j’ai de nombreuses occupations, je structure je ne laisse pas cela dans les limbes quand je fais un album, je « pense » 5 ou 6 planches à la fois et parfois je dois mettre le frein et arrêter pendant deux semaines pour laisser mijoter mais alors j’y vais à fond parce que je dois rattraper deux semaines !
Shesivan : Cela vous arrive donc de prendre des libertés avec votre scénario, quand vous trouvez une meilleure idée ?
Nicolas Vadot : Oui, mais cet album-ci est très proche de l’idée de départ… Pour les autres c’est 25 % de l’idée originelle, le scénario c’est la colonne vertébrale et toute la chair autour c’est au fur et à mesure que je fais l’album, un magma en permanence jusqu’à ce que j’aie terminé le livre…
Shesivan : Alors on passe au suivant ?
Nicolas Vadot : Oui, une fois qu’il est imprimé, oui ! Je me donne un deadline pour le finir parce que sinon… celui-ci c’était le 30 juin, pas le premier juillet parce qu’il fallait qu’il soit dans le timing que je m’étais donné. En tant que dessinateur de presse je suis toujours pris par le temps, il y a des bouclages. Je fais de même en BD !