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INTERVIEW DE CYRIL PEDROSA POUR "PORTUGAL"
A l’heure où la bande dessinée devient plus que jamais un objet de marketing qu’il faut rentabiliser à tout prix, les éditeurs de la collection « Aire libre » ont pris un fameux risque en éditant « Portugal », un pavé de 250 pages d’un auteur qui n’est pas forcément le plus connu. Si Cyril Pedrosa a pu convaincre Dupuis de le publier, il ne manquera pas d’accrocher des lecteurs qui seront touchés par l’émotion qui se dégage de ce long récit, de cette histoire très colorée à la limite de l’autobiographie fictionnelle, amusante et vivace…
L’œuvre est actuellement exposée à la Gallery du CBBD et chez un célèbre galeriste parisien. Faut-il ajouter que « Portugal » a déjà été primé par Le Point ainsi que par BDGest et que le grand prix d’Angoulême lui fait des yeux doux ?
Shesivan : « Portugal » est un fameux « pavé » de 250 pages ! Combien de temps avez-vous travaillé dessus ?
Cyril Pedrosa : J’ai travaillé pendant deux ans sur la réalisation des planches, plus le temps avant pour écrire le scénario, soit deux ans et demi. J’ai fait beaucoup de dessin d’observation quand je suis allé au Portugal, également écris et fait des croquis mais après j’ai tout ramené chez moi pour travailler sur les planches. Il y a 3 parties, quand j’ai été au Portugal j’avais déjà écris les 2 premières parties. J’ai été trois mois, j’ai beaucoup écris, dessiné, pris des photos, pour intérioriser les choses.
Shesivan : Pourquoi le Portugal ?
Cyril Pedrosa : Parce que trois de mes grands-parents sur quatre sont Portuguais. Cette histoire de migrants est très proche de mon histoire familiale. Le lien avec le Portugal n’a pas été entretenu avec ma famille, on n’y accordait pas d’importance… quand je suis retourné au Portugal, j’ai eu l’impression d’être chez moi. J’avais de la famille que je ne connaissais pas du tout, une famille lointaine, que j’ai redécouvert quand je suis retourné là-bas. Je n’avais pas de relation avec eux.
J’ai fait ce livre parce que c’est très proche de mon histoire personnelle, mais ce n’est pas autobiographique…
J’ai essayé de me nourrir des couleurs, de retrouver la sensation de chaleur, de luminosité. Je ne suis pas un super coloriste, j’ai des limites techniques… Je rends des ambiances…
Shesivan : Vous avez travaillé dans le dessin animé. Est-ce que cela vous a aidé ?
Cyril Pedrosa : Pas trop à ce niveau, le storyboard en DA est très différent de la bande dessinée, chaque image est pensée pour remplacer une autre image alors qu’en BD ce n’est pas le même principe. Le DA fait partie de mes influences mais ce n’est pas plus que ça…
Shesivan : Justement, quels auteurs vous ont influencés ?
Cyril Pedrosa : Aucune école en particulier. Je suis très amoureux de la BD mais je ne me sens pas dans une famille ou une école. J’aime bien Blutch, Rabaté, Prudhomme mais j’estime ne pas avoir leur virtuosité. Au niveau de la façon de raconter mes histoires cela se rapproche de Rabaté et Prudhomme, par leur côté quotidien.
Shesivan : Pourquoi chez Dupuis ? Aire Libre ?
Cyril Pedrosa : José-Louis Bocquet qui apprécie mon travail m’a demandé ce que j’avais envoie de faire. Je lui ai proposé mon projet et il a été emballé et m’a soutenu.
Shesivan : Etre publié dans cette collection-là, c’est une forme de consécration ?
Cyril Pedrosa : Surtout une sacrée chance de pouvoir faire un livre comme je l’avais en tête. Ce n’est pas si fréquent. Une carte blanche. Ils m’ont vraiment donné la possibilité de faire le livre que je voulais, quelle chance incroyable.
Shesivan : Que reprochez-vous à Tintin ?
Cyril Pedrosa : Je ne lui reproche pas grand-chose… Quand j’étais gamin, la première BD qu’on m’a offert c’est Tintin en Amérique et j’ai détesté… j’ai été extrèmement déçu… je m’attendais à un festival, j’avais trop d’attente. Evidemment ce n’est pas le plus excitant à lire, l’histoire est déstructurée, c’est une accumulation de petits morceaux, une longue poursuite. On m’aurait refilé « Objectif Lune », je serais rentré dedans. Du coup je n’ai pas lu Tintin jusqu’à l’âge de quinze ans. Plus je grandis, plus j’arrive à voir la force narrative d’Hergé mais cela me laisse froid, tout est tellement sous contrôle, cela me glace. Plastiquement c’est beau, émotionnellement cela ne me touche pas. Je préfère un dessin plus pulsionnel, Franquin par exemple, quelle énergie… Dans le travail d’Hergé tout est sous contrôle. Je n’arrive pas à rentrer dedans. Mais bon, c’est un auteur incontournable, on ne peut lire de la BD sans passer par lui. Un peu comme si on ignorait l’œuvre d’Orson Welles au cinéma!
Shesivan : Qui vous a décidé à faire de la BD ?
Cyril Pedrosa : Uderzo. Son dessin est beaucoup plus vivant, c’est un fourmillement permanent. En tant que gamin j’étais émerveillé, fasciné. Chez moi, il y avait tous les Astérix, le premier gros succès français.
Shesivan : Vous allez reprendre Astérix ?
Cyril Pedrosa : Oui c’est moi, c’est un scoop !