EL SPECTRODIER - L'INTERVIEW

Comment est né El Spectro ?

-De mon amour pour les films kitchissimes d’El Santo! C’était un vrai catcheur mexicain qui a tournée dans plus d’une soixantaine de films entre 1950 et 1980. Il y combat tous les monstres du répertoire classique, allant de Dracula à la fille de Frankenstein, en passant par la bru du Loup-Garou et le beau-frère de la Momie! Je rigole, mais ses films sont à peine moins ridicules que ça! Bref, j’ai voulu réaliser, en film, une courte aventure d’El Santo en 2005. J’ai demandé à mon ami Frédéric Antoine de m’aider au scénario et ça a été une collaboration très agréable! Fred et moi sommes sur la même longueur d’onde et nous nous sommes beaucoup amusé sur ce projet, même si au final le film n’a jamais été tourné... Quand, en 2009, nous cherchions un sujet pour créer une nouvelle série BD mettant en vedette un personnage bien typé, iconique, sportif et baroudeur, Fred a repensé à notre scénario. Plutôt que d’adapter El Santo en BD, nous préféré créer notre propre “luchador”,inspiré du modèle original mais nous laissant les mains libres pour l’envoyer dans toutes les directions que nous imaginerons en cours de route!
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 Pourquoi un style graphique rétro 50, comment en es-tu arrivé-là ?

-C’est un choix autant esthétique que scénaristique. Tout avait plus de gueule à cette époque, les voitures, les décors, les vêtements, et même les visages! Ça, c’est pour l’esthétisme. Du côté scénaristique, ça ouvre plein de possibilités! Tu peux faire une vrai de vrai méchant, “méphistophélique” sans que ça paraisse ridicule! Dans le contexte des années 50-60, les archétypes passent bien. Et aussi, nous nous sommes vite aperçu que l’aventure classique est difficile à élaborer dans le monde d’aujourd’hui. La technologie qui simplifie notre vie de tous les jours rend difficile de se perdre au milieu de la jungle, ou du désert. Avec les satellites, aujourd’hui, il n’existe plus de terre inexplorées.


Quels sont auteurs qui t’ont influencé ?

-Aie aie aie! Il y en a beaucoup! Bien entendu, il y a Franquin, Tillieux, Jijé, Walthéry, Jidéhem et toute l’école de Marcinelle. Mais aussi Hergé, Jacobs, De Moor, Crahenals, Graton, Weinberg et toute la bande du Journal Tintin que je lisais beaucoup, étant petit. Chez les américains, il y a John Romita Sr. (Spider-Man), Jack Kirby (tout l’univers Marvel), Jack Davis, Dan deCarlo, Bruce Timm, Frank Cho, etc... J’en passe et j’en oublie! Chez les Espagnols, José “Pépé” Gonzalez (Vampirella) et F. Solano Lopez (L’Oeil de Zoltec) m’ont énormément marqué... Mais il y a surtout, à l’égal de Franquin chez les dieux de la BD, le grand Uderzo qui, avec ses 8 albums de “Tanguy et Laverdure”, a réussi à créer la BD la plus parfaite que je connaisse! Un subtil mélange de réalisme ultra documenté, de personnages semi-caricaturaux et de mouvements très appuyés, qu’on voit surtout dans les BD humoristiques. Je pense souvent à ses Tanguy et Laverdure quand je dessine El Spectro... Mais maintenant, je laisse toutes mes influences se mélanger et créer leur propre chimie, au lieu de les canaliser très fort sur un style ou un auteur à la fois, comme à une certaine époque quand je dessinais du Tintin en m’efforçant de devenir Hergé...


Cette histoire d’Alph’Art, tu ne vas pas traîner ça comme un boulet tout le restant de ta carrière ou au contraire cela t’a servi ?

-Ça m’a servi, c’est certain. Si ce n’était de Tintin, j’aurais sans doute eu beaucoup plus de difficulté à faire connaître mon nom dans le milieu de la BD... Mais je ne me fais pas d’illusion, dans notre “couple”, c’était Tintin, la vedette! Quand quelqu’un me montre mon album traduit en iranien, ou ma couverture de “L’Alph-Art” en plaque émaillée au Cambodge, je sais que je n’y suis pour rien! Les gens veulent du Tintin! Que ce soit de la main d’Hergé, Harry Edwood, Régric ou la mienne, ils s’en fichent!... À la longue, c’est effectivement un peu devenu un boulet. Ça me touche quand je vois des gens faire la queue avec un truc de Tintin que j’ai fait il y a 20 ans... Mais je dois leur expliquer que si je traverse l’Atlantique pour venir en Europe, c’est pour faire la promotion de mon travail. Et Tintin n’est pas mon travail. Ça ne l’a même jamais été! Je ne renie pas ce que j’ai fait, mais je suis passé à autre chose depuis longtemps.

 

Pourquoi plus de Simon Nian ?

-Parce que je m’ennuyais à dessiner des rues de Paris, des festival de BD, des librairies et des galeries. Je ne suis pas un dessinateur urbain. Je rêve d’aventures et d’exotisme! Et Simon Nian, c’était de la parodie. On en a vite fait le tour. De plus, comme je devais coller au style de Tillieux le plus fidèlement possible, je me sentais à l’étroit dans ces limites très définies, sans possibilité d’explorer graphiquement le style et le laisser évoluer... C’est pourquoi j’ai créé El Spectro avec Fred, une série avec des possibilités infinies qui me correspond beaucoup mieux. C’est vraiment la somme de tous nos champs d’intérêts, en BD, films, design et histoire!


L’accueil de El Spectro 2 est très positif, un libraire était enchanté parce que grâce à ta couverture spectaculaire, cela se vendait comme des petits pains aussi auprès des amateurs de bagnoles, ne serais-tu pas tenté de revoir la couverture du tome 1 ?

-Oh, si tu savais! Je casse sans arrêt les oreilles de nos éditeurs du Lombard depuis sa sortie en 2011! Je n’ai jamais été satisfait de la couverture. Les couleurs sont sorties complètement écrasées, et la maquette manque de “Oumph!” J’avais proposé plusieurs maquettes de style plus vintage avant celle qu’on m’a finalement imposée. On ne saisissait pas bien, au Lombard, qu’avec Spectro il faut aller “vintage” jusqu’au bout! Ce qu’on a enfin pu faire avec la couverture du tome 2!


Apparemment tu te revendiques de l’école de Marcinelle de par ton style mais tu rends aussi hommage à Jean Graton. Son style était plutôt très raide, non ? Ou son style n’a pas d’importance mais tu apprécies Michel Vaillant ?

-C’est vrai que son style graphique a un peu mal vieilli de par sa raideur, mais bon sang! Quelle rigueur dans la documentation! Et Graton arrivait superbement à rendre l’ambiance fébrile de la foule, il y a des gens PARTOUT dans les BD de Michel Vaillant! Ce n’est pas si évident à faire, surtout à le faire aussi bien! Il y a énormément de bonnes choses dans les albums de Graton! Pour ma part, je préfère ceux des années 60. Et les relations entre les personnages sont vraiment intéressantes! Il y a une recherche psychologique assez poussée, ce qui n’était pas du tout courant à l’époque! Je ne sais pas si on a poursuivi dans cette veine, surtout depuis que son fils a repris le flambeau, car je ne lis plus les nouveaux albums depuis longtemps...

Que penses-tu de toutes ces séries qu’on reprend (Blake & Mortimer, Spirou, bientôt Bob Morane, Michel Vaillant) tu ne trouves pas que si on a arrêté de les faire c’est parce qu’elles avaient vécu leur vie ?

-Je ne sais pas... En fait, je pense que certaines séries se prêtent mieux à la reprise que d’autres... Si Spirou a merveilleusement supporté le passage de ses différents auteurs, même après Franquin!... c’est qu’on a continué à faire évoluer la série et à la doter de nouveaux personnages, de nouvelles intrigues sortant des cadres de ce qui avait été fait avant. Je pense que l’erreur dans la reprise, est de “singer”l’auteur original. Mais il y a des créateurs qui ont imprégné toute leur Oeuvre avec leur personnalité, comme Hergé, Jacobs, Peyo... Il serait impensable de voir les Schtroumpfs dessinés dans un autre style. Blake et Mortimer, et Tintin, pareil. Ça ne deviendrait que des parodies, puisque toute l’oeuvre est d’un même style... Mais ce faisant, les repreneurs sont condamnés à rester prisonniers d’un univers qui n’est pas le leur, ne pouvant faire évoluer ce petit monde dans une direction qui leur serait plus personnelle, telle que Franquin pu le faire avec Spirou... C’est dommage, mais c’est ainsi. Je crois que, dans ce cas, tant qu’à ne restituer que ce qui a déjà été fait avant par le créateur original, il vaut mieux ne pas poursuivre cette oeuvre. Ça ne lui apportera rien de nouveau, et autre que commercial, je n’y vois aucun intérêt...


Je te verrais bien reprendre Tif et Tondu ? Et pourquoi pas Gil Jourdan ?

-Encore là, comme je le disais, l’intérêt n’en serait que commercial, je pense... La reconnaissance du nom de ces séries est telle qu’aujourd’hui le succès serait forcément au rendez-vous, mais comment peut-on s’imaginer faire aussi bien, ou mieux, que Will et Tillieux? Pourtant, si on ne croit pas qu’on peut faire aussi bien, ou mieux, et si on ne nous permets pas de faire différemment de Will et Tillieux, ça ne vaut pas la peine de s’y essayer. Je ne pense pas que je ferais mieux qu’eux, et j’imagine mal qu’on me laisserait faire différemment. C’est pourquoi je préfère créer des personnages dans la lignée de ces héros classiques, comme Simon Nian et maintenant Spectro, et avoir les coudées franches pour créer un univers sans avoir à porter d’œillères.


Un talent comme le tien, c’est inné ou cela a demandé du travail ?

-Ahah! J’aimerais tellement que ce soit inné, mais déjà, je ne crois pas tellement au“talent”!... Non, je crois en l’aptitude, et si on reçoit les bons encouragements assez tôt, on a la chance de développer cette aptitude... Rien ne vient tout seul! J’avouerai cependant que j’avais une prédisposition pour ce travail. J’ai encore chez moi ma première BD réalisée à l’âge de 4½ ans!... Depuis aussi loin que je me souvienne, j’ai voulu faire, et j’ai fait de la BD. Mais ce qui est merveilleux, c’est qu’on évolue à notre insu, sans avoir l’impression d’y faire quelque chose! Il faut lire les “Maîtres”, essayer de comprendre ce qui fait que telle BD est si réussie, quels sont les rouages qui font qu’elle fonctionne si bien, puis faire de la BD en essayant d’appliquer ces principes. Mais non, ce n’est pas inné... je travaille beaucoup, me questionne énormément, et recommence encore plus!

La troisième aventure d’El Spectro se déroulera dans le bayou. L’homme sera-t-il toujours confronté au fantastique ?

-Toujours! C’est le propre de l’Univers de Spectro! On ne le surnomme pas “El Fantasma Escarlata” (Le Fantôme Écarlate) pour rien!

 

N’as–tu pas peur de reperdre le lectorat gagné par la luminosité de Trans-Amazonie à cause d’une histoire trop sombre ?

-Pas du tout. C’est une histoire différente tout simplement. Il est hors de question de nous mettre à taper toujours sur le même clou! Le monde de Spectro est large et nous avons bien l’intention de l’explorer en compagnie de notre héros, que ce soit dans le bayou, dans les Andes, sur la Trans-Amazonie ou dans la savane africaine! C’est ce qui fait la beauté d’un personnage comme El Spectro, il n’est pas enchaîné à un style d’aventure particulier. C’est un peu un Bob Morane qui porte un masque!“Le Monde est son Royaume” et les lecteurs de Bob n’ont jamais rechigné à le suivre de la cité souterraine de l’Ombre Jaune à la Vallée des Brontosaures!


Ne t’as t-on jamais proposé de faire du comics avec El Spectro qui semble être le personnage parfait pour ce genre ?

-Pas encore! Mais de toute façon, lent comme je suis, je n’arriverais jamais à dessiner 22 pages en un mois!!!

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