BOULEVARD...OSSEMENTS - BARRAL PARLE DE BURMA

La nouvelle enquête de Nestor Burma, détective de l’agence Fiat Lux commence plutôt bizarrement par un ticket gagnant de la loterie, un air de cha-cha-cha et un étrange client qui lui demande d’enquêter sur un chinois pour savoir s’il ne fréquente pas des russes… Lequel chinois aurait des squelettes dans son placard ou plutôt un cadavre qui ne l’est pas dans son armoire et s’amuse à fabriquer des fausses publicités pour un bordel du bout du monde qui n’existe plus. Voilà Burma entraîné dans un guêpier avec des guêpières…
 
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Boulevard…Ossements est la huitième adaptation d’un roman de Léo Malet mettant en scène son détective Nestor Burma, une série débutée par Jacques Tardi, personnage incontournable dans la bande dessinée Franco-belge. Après avoir passé le relais à Moynot, celui-ci a finalement décidé de passer son tour et le choix des éditions Casterman s’est arrêté sur Nicolas Barral, plutôt surprenant puisque ce dessinateur excelle dans la parodie avec le burlesque Baker Street où Sherlock Holmes est aussi stupide que Rantanplan, ainsi que l’excellente parodie du classique Blake et Mortimer : « Philip et Francis », meilleur hommage à l’œuvre de Jacobs, n’en déplaise à Sente ou autre Van Hamme…

Nicolas Barral a évité l’écueil de la parodie et démontre dans les présentes pages son talent d’adaptateur, restant à la fois fidèle à Léo Malet, à Jacques Tardi et surtout à lui-même… Il exerce un savoir-faire certain en évitant au lecteur l’ennui des huis clos et des longs dialogues, sa plume bougeant autour de ses personnages, révélant des éléments de décors là où Tardi restait plus évasif. Barral met de l’action dans l’inaction, son style reste reconnaissable et est aéré alors que celui du maître était plus sombre. On en redemande !

 
Je n’étais pas forcément obligé de rester fidèle à l’univers de Tardi. J’avais sa permission pour le trahir mais je n’avais pas de m’en éloigner trop parce que c’est un maître pour moi et quand on vous offre la possibilité de marcher dans les pas de Tardi, cela ne se refuse pas !
J’avais pour consigne concernant les personnages principaux que les collectionneurs de Burma retrouvent leurs petits, de les faire ressemblant. Le challenge était surtout pour tous les personnages que Tardi n’avait pas créés, il fallait essayer de comprendre ce qui faisait la caractéristique de son dessin et les dessiner comme lui. Et malgré tout ne pas s’oublier totalement soi-même.
Il y a eut un tour de chauffe pour arriver à trouver de la bonne distance, pour faire du Tardi au naturel. J’ai l’habitude de pas mal faire tourner la caméra là où lui est plus sage dans sa mise en scène. Les grandes cases sont réservées aux décors à cause des immeubles haussmanniens qui ne peuvent rentrer dans les petites cases. Pour restituer Paris il faut de la place !
Si on est dans un découpage trop serré, ce n’est pas digeste, faire tourner la caméra est une nécessité. J’ai reconstitué le bureau de Burma qui chez Tardi est très vague, j’ai fait un plan du bureau de manière à pouvoir faire interagir les personnages dans un décor situé, j’ai crée une antichambre avec un plumard, ce qui ne l’empêche pas de dormir sur le canapé, le détective qui s’endort en réfléchissant sur le dossier.
J’ai de l’humour, il y a de l’humour dans Malet et j’ai appuyé les effets de Tardi, j’y ai été plus fort en essayant de descendre d’un registre pour faire moins dans la parodie !
J’ai choisis Boulevard… Ossements parce qu’il est plus rigolo que les autres Burma dont j’ai toute la collection… Le début de Boulevard… Ossements est drôle, il y a le coup de la loterie, j’ai rajouté la scène où ils dansent le cha-cha-cha, mais il y a un dialogue entre son client et Burma qui était intéressant à restituer, ainsi que la bagarre dans le resto chinois, un tas d’éléments qui me permettaient de m’approprier, de me démarquer de l’adaptation parce qu’il me fournissait des éléments que je connaissais.
Il y avait aussi d’autres aspects ; la secrétaire de Burma, Hélène Châtelain a un rôle prépondérant et c’était la première fois que je mettais en scène un personnage féminin central et puis il y avait l’aspect historique ; les Russes blancs, leur exil après la révolution des rouges… Je pouvais donc divertir et instruire les gens, ce qui n’était pas pour me déplaire et en plus ces russes blancs étaient des blanches, tout un défi ! On est plus à l’aise avec les garçons que les filles dans la BD, c’est difficile de donner du caractère à un personnage féminin. Hélène, je ne l’ai pas inventé, c’est la femme de Jacques Tardi ! Cela me donnait l’occasion de rompre avec le ronron…
Les guêpières je n’y peux rien, il y en a dans le roman ! Il se trouve que Léo Malet était un grand spécialiste des guêpières… Selon un confrère ce roman serait le mal aimé de Malet mais je trouve qu’il y a au contraire mis de sa personne ! Les boutiques dont il parle, il les a probablement fréquentées, le personnage du collectionneur serait Malet, et si ce n’est pas lui il a dû le rencontrer ! Moi, pour le croquer, je me suis inspiré d’un personnage dans Quai des Orfèvres, le film d’Henri George Clouseau, un obsédé sexuel joué par Charles Dullin. Je l'ai imaginé comme un petit bonhomme à lunettes…
Le défilé de mode dans la boutique de froufrous m’a entraîné dans ma recherche de documentation jusqu’au musée Christian Dior et finalement je m’en veux car j’aurais pu dessiner les scènes avec une touche de réalisme supplémentaire…
Moynot avait décidé de faire une pause… Quand on m’a dit que Nestor Burma cherchait un repreneur cela a fait son chemin… Tardi a été étonné de mon choix, il a demandé à voir et j’ai pris soin de gommer tout ce qui aurait pu lui faire peur… Mes premiers albums (Les ailes de plomb) sont réalistes avec un humour contenu, alors je savais que j’en serais capable. J’ai fait trois pages d’essai, même qu’on m’en avait demandé qu’une mais j’étais lancé et puis je me méfiais de la page unique d’essai, on ne peut pas tricher sur trois pages.
En fait l’écueil principal était la peur que je fasse une parodie de Nestor Burma.
On m’a proposé un adaptateur, mais comme j’ai fait le scénario d’une série pour la jeunesse (Mon pépé est un fantôme) et qu’avec Tonino Benacquista je suis quand même obligé de faire le scénario car il ne me donne qu’une idée générale de son récit, il ne me donne pas un scénario développé, alors j’étais chaud !
J’ai pris le roman et j’ai fait le découpage moi-même. Avec Léo Malet on prend beaucoup mais on en laisse, c’est dans le choix qu’on fait de ce qu’on garde et de ce qu’on laisse que la personnalité de l’adaptateur paraît. Tout ce qui me séduisais j’ai gardé et je n’ai pas dû me limiter à un certain nombre de pages imposé, grâce à Tardi…
J’ai peut-être eu une lecture orientée du roman, je me suis sûrement arrêté à des choses qui n’auraient pas autant marqué Tardi, d’abord le roman plus orienté, plus humoristique… Avec mon dessin je marque les effets d’avantage. Je viens de l’humour où on fait surjouer les personnages, j’ai descendu mon registre mais je reste dans ce que j’aime faire : faire jouer les personnages, je suis au plus juste de ce que la scène me réclame…
Je dépends d’un cahier des charges, un cahier que Léo Malet s’était fixé lui-même avec ces nouveaux mystères de Paris, soit une enquête de Burma dans chaque arrondissement de Paris. Mais il n’est pas allé au bout de son désir, il s’est arrêté à quinze… Boulevard… Ossements se passe dans le neuvième, alors je me suis baladé dedans, caméra au poing, en repérant les lieux indiqués dans le bouquin. Je me suis documenté un maximum, ce qui est conseillé quand on opte pour le réalisme.
Tardi m’a encouragé à faire l’album en couleurs ou avec une trame colorée, pour qu’à chaque auteur corresponde une esthétique particulière. J’ai essayé de lui faire plaisir mais je trouvais que c’était trop sophistiqué et je ne voulais pas renoncer au noir et blanc, dans le ton de ce cinéma d’époque que j’aime tant. Alors j’ai insisté et j’ai pu. Si on me laisse la possibilité il y aura un deuxième…


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