Le sourire de Mao est une BD qui suscite des sentiments mitigés, surtout à cause du « pays » dans lequel elle se déroule. A vrai dire, le thème principal est le totalitarisme, ses dérives ainsi que ses manipulations mais il reste néanmoins de nombreuses questions quant au lieu du crime… L’histoire aurait-elle eu le même impact si cela s’était passé dans un lieu existant ? Il serait dommage de se concentrer sur la forme et non sur le fond… Michel Constant plante un décor d’une terrifiante réalité et campe ses personnages avec un trait d’un grande sûreté un poil plus réaliste que le Centre du « Nowhere ». Son complice, Jean-Luc Cornette nous livre un scénario à la trame millimétrée et d’un réalisme qui fait peur. Un proche futur ? L’être humain est ce qu’il est, il fonctionne ainsi depuis le début de l’humanité, ceux qui ont le pouvoir en veulent plus et ceux qui survivent au bas de l’échelle seront écrasés et prêts à tout pour s’en sortir…
Quant à la dépouille de Mao, c’est un prétexte d’un surréalisme typiquement belge pour raconter une histoire…
Leurs auteurs en parlent :
(Jean-Luc Cornette)L’héroïne de l’album est une asiatique, ce qui permettait de mettre une enfant déracinée, d’avoir un certain recul avec cette ado qui est belge mais d’origine asiatique. Elle serait aussi sensée savoir qui est Mao mais c’est une Wallonne !
Le Sourire de Mao n’est pas un pamphlet politique, mais il y a de la politique et aussi du polar, de l’espionnage et de la romance, nous sommes dans une fiction et ce n’est pas parce qu’on invente cette une fiction qu’on est d’accord avec ce qu’on invente, on crée un univers qui montre quelque chose d’affreux, si cela devait arriver on aurait tendance à s’en méfier. Ce n’est pas parce qu’on a crée un état totalitaire qu’on est d’accord avec cet état. Orwell était-il pas d’accord avec 1984 ? Je ne souhaite pas cela à la Wallonie.
(Michel Constant) Jean-Luc voyait un dessin plus réaliste… mais il m’a dit cela après ! Tout le monde a compris que c’est un bouquin pro-Belgique, parce que personne ne souhaite ce qui arrive là, je n’ai pas envie que la Belgique se scinde en deux. On bosse ensemble depuis pas mal de temps, je sais où on veut en venir, dés le départ je sais que Jean-Luc aime marcher sur une corde raide, il prend toujours du recul c’est ce qui m’attire dans son travail que ce soit en fiction, fantastique ou même irréalité. Sans ses scenarii, il y a toujours de l’humour, un second degré et on se permet d’en sourire même si ce n’est pas drôle du tout. La force de Jean-Luc est que même si les décors sont réalistes, il y introduit des trucs étranges, exacerbés. Par exemple, avant qu’on se rende compte que la Wallonie est une dictature, on montre des enfants qui portent des uniformes et puis la chef scout arrive et elle a un revolver à la ceinture. Du coup la donne change, elle n’est plus tout à fait chef scout mais fait partie d’un genre de jeunesse hitlérienne. C’est ce qui me plait dans ce scénario, cela part de petits détails bizarres…
(Jean-Luc Cornette) Il y a plein de chose que je ne dis pas afin que le lecteur imagine des choses. On parle de clientélisme, de népotisme à propos du président créé et ce n’est absolument pas dans le bouquin, ce sont les lecteurs qui imaginent un président wallon qui est une sorte de suite au président de la région wallonne actuelle. Les lecteurs, et les Wallons en premier projettent leurs fantasmes de ce qui ne va pas en Wallonie. Il y a un tas de choses jamais dites dans la bd et que les lecteurs voient !
Le bouquin vient d’être traduit en néerlandais et nous serions curieux de connaître la réaction des lecteurs flamands… Ceci dit, ce n’est pas un bouquin pour créer la polémique, notre propos est que la Wallonie au début la Belgique est séparée, point. On ignore pourquoi…
En ce qui me concerne, c’est une espèce de thriller légèrement teinté d’une histoire d’amour qui arrive à deux adolescents dans un régime de bouffon en Wallonie. Les flamands vont lire cela comme Tintin chez les Picaros, cela ne parle pas de leur pays, on ne vise pas qui ou quoi, la Wallonie est une république, point ! On raconte les dérives qu’il peut y avoir dans ce genre de régime et d’ailleurs la fin reste ouverte…
(Michel Constant) Il s’agit d’un fait divers en Wallonie avec un côté fasciste dans lequel on voit l’ombre socialiste ! Il a fallut que je ponde un sigle qui rappelle quelque chose de martial, d’ailleurs mes scouts sont habillés de manière stricte, j’ai choisi de les rendre impeccables pour faire penser aux jeunesse hitlériennes. Comme le récit est assez sombre, j’ai choisi de faire des ciels très sombres.
J’ai créé un président populiste, totalitariste qui magouille… Tout cela fait penser à ce qui s’est passé à Charleroi mais tel n’est pas le propos, il ne s’agit pas d’une suite à la Wallonie actuelle. C’est difficile de voir d’un coup une Wallonie prospère dans le contexte actuel. D’ailleurs on a crée un contexte nationaliste qu’on connait plus en Flandre qu’en Wallonie pour l’instant.
Je trouve passionnant d’inventer un futur à la Belgique, un pays qui parfois frôle le ridicule… Alors pourquoi la BD ne sauterait-elle pas sur le sujet, c’est un bouquin pro belge !
photos © David Merveille
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