RENE, LE FEU "FOLLET" DE LA BD

A l’heure où tout un chacun goûterait à une paisible retraite, René Follet, 4 X 20 printemps et un peu plus, est encore un acharné du travail qui estime que ce n’est pas parce qu’il a une longue carrière derrière lui qu’il faut en rester là. L’homme est encore nourri de projets et son œil s’illumine lorsqu’il tient une plume ou un pinceau. D’ailleurs, jamais son talent n’a été aussi grand, son coup de crayon aussi souple et généreux, tout dans le geste et le dynamisme.

Tous les jours, il gravit la volée de marches raides comme la justice qui le mènent à son atelier, un trois pièces bondés d’ouvrages de documentation, dont à présent plus personne ne veut, because internet… Il prend place devant sa table de dessin et saisit un crayon, une plume, un pinceau… la magie commence à opérer… Sous les gestes vifs, les traits de crayon, la feuille blanche est un univers en devenir…

René Follet est pourtant injustement un de ces hommes de l’ombre de la bande dessinée et il convient de lui donner la place qu’il mérite, de ramener son talent à la lumière, non pas à l’ombre des plus grands mais à leur côté !

Son actualité est abondante, BD MUST a sorti ses 9 aventures de « Steven Severijn » dont seulement trois avaient été traduites en français à l’époque, les éditions de l’Elan ressortent un élégant tirage de luxe de « S.O.S. Bagarreur », BD commise avec Tillieux, agrémentée de pages restées mystérieusement inédites, dues aux contraintes éditoriales de l’époque et puis ce « Stevenson, le pirate intérieur » avec Rodolphe au scénario pour la collection Aire libre de Dupuis…

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Evoquons la carrière de René Follet :

J’ai fait toutes mes études au terrible collège Saint Michel à Bruxelles et non, je ne venais pas d’une famille aisée. Néanmoins, les parents qui y envoyaient leurs enfants étaient de profession libérale, de la bonne bourgeoisie. J’y ai été parce que j’habitais à cinq minutes à pied. J’y ai fait mes dix ans, ayant fait ma première année dans une autre école car il fallait pouvoir lire pour entrer en préparatoire et j’en suis sorti à 17-18 ans. Mes parents étaient intéressés par mes dessins et mon père me suivait d’assez près. Il me donnait des modèles à recopier. La source la plus féconde était un gros livre que mon père sortait de la bibliothèque, un recueil des œuvres de Wilhelm Busch, caricaturiste allemand du 19 ème siècle, qui a créé les aventures de deux garnements et le petit monde autour duquel ils gravitent, dans un milieu paysan. Ces dessins étaient d’une clarté et d’une souplesse ! C’était une véritable récréation !

Alors que j’abordais ma troisième année à l’école, j’avais 14 ans, une petite agence de publicité m’a demandé de faire les crayonnés de l’Ile au trésor de Robert Louis Stevenson. Je connaissais le titre mais je ne l’avais pas lu, c’est mon père a décanté le texte et a fait le découpage, en 60 sujets, d’images qui étaient destinées à être introduits dans les emballages de chocolat, l’Aiglon. Les amateurs les collaient ensuite dans un recueil.

A l’époque je me souviens, mon trait était horrible et c’est le type de l’agence qui a encré et colorié sous bleu les 60 vignettes. Je ne vois toujours pas pourquoi on m’a accordé le privilège d’adapter ce travail !

C’est l’époque durant laquelle j’ai fait connaissance d’Hergé, pendant la guerre… J’avais été emmené chez lui par un jésuite qu’il connaissait par le truchement du Petit XXème. Hergé s’est intéressé à mon travail et m’a poussé à persévérer.

Entre temps j’ai travaillé pour le magazine OK où j’illustrais des histoires de guerre…

C’est un autre jésuite qui m’a amené chez Spirou ! Il m’a présenté à Jean Doisy, qui était le rédacteur en chef à l’époque sous le pseudonyme du fureteur. J’y ai fait la petite chronique du fureteur et des contes. J’ai véritablement commencé à faire de la BD à mes 18 ans, avec l’Oncle Paul. J’avais pour ami Octave Joly, journaliste qui vivait de scénario et de film de publicité et je lui ai demandé de faire du scénario pour Spirou et Joly est devenu l’Oncle Paul ! Mais ce n’est pas lui physiquement… C’est Eddy Paape qui a créé le personnage qui introduisait les histoires. L’Oncle Paul a servi de tremplin pour de jeunes auteurs qui se font la main, je suis un de ceux qui en ont fait le moins, c’était le banc d’essai.

Beaucoup y sont passés : Attanasio, Graton, Vance, Mitacq, Forton, Hermann…

A partir de 55 je suis parti à Paris où j’ai séjourné peu de temps, cherchant à me façonner une clientèle d’éditeurs en tant qu’illustrateur.

Je connaissais JJ Schellens par le magazine des scouts, mais je n’ai fait que quelques couvertures et illustrations dans Marabout Junior, dans le premier numéro intitulé Mermoz. J’ai surtout illustré des livres scolaires, couvertures et intérieurs pour les éditions Hachette.

C’est Jijé qui a inspiré mon style. J’ai fait sa connaissance en 48, peu de temps avant qu’il parte au Mexique avec Morris et Franquin et c’est pour cette raison qu’il ne m’a pas proposé de m’inclure dans son équipe… Par après nous n’avons eu que des contacts professionnels, nous nous voyions dans les bureaux de Spirou. N’empêche, je reste fasciné par Jerry Spring plutôt que par Valhardy, plus élémentaire. Jerry Spring, c’est l’expressivité et la valeur qu’il a donné au noir et blanc, de la peinture ramené à sa plus grande expression !

Je me suis mis à la couleur assez tard, je m’y suis intéressé qu’à partir des années 60-70, quand Dupuis m’a confié trois titres : Terre entière, série inaugurée par Hausmann. J’y ai illustré la chevalerie, les Grecs et un album sur la spéléo. J’ai senti qu’il y avait là la possibilité de manier de la couleur : le premier était à la gouache et les suivants à l’acrylique, que je n’ai plus lâché depuis. Je n’ai plus fait de gouache sauf pour le noir et blanc. L’acrylique peut être utilisé comme l’aquarelle, on peut la rendre transparente, mais c’est un matériau où on peut aussi travailler en épaisseur.

C’est à cette époque-là que deux auteurs que j’avais côtoyés pendant les oncle Paul m’ont demandé un coup de main : Mitacq et Vance, parce qu’ils étaient débordés. Vance avait beaucoup de héros et de séries en même temps et de temps en temps il n’y voyait plus très clair ! Je lui facilitais la besogne en lui proposant des crayonnés, notamment pour Bob Morane et Ramiro. Je n’ai jamais été crédité pour cela. Avec Mitacq j’ai fait Jacques Legall pour Pilote.

Durant ma carrière j’ai été amené à travailler les plus grands scénaristes : Maurice Tillieux, Yvan Delporte, Rosy, Yvan Duval, André-Paul Duchâteau et Michel Charlier, par l’intermédiaire de Mitacq. J’ai par contre illustré les romans de Charlier qui paraissaient dans Tintin. Avec Tillieux j’ai fait « SOS Bagarreur »… Nous étions destinés à nous lancer dans une vaste série, étant amoureux de la mer tous les deux. Tillieux avait fait des études de marine interrompues par la guerre et avait eu l’idée d’écrire des histoires maritimes. C’est Yvan Delporte qui a eu l’inspiration de me joindre pour illustrer son scénario. Mais le rédacteur en chef de Spirou de l’époque, Thierri Martens nous a barré la route pour une série, l’audience de la première histoire n’étant pas assez importante. D’ailleurs il s’en est repenti en publiant 15 ans plus tard un album dans la collection Pêché de jeunesse, lequel reparaît aujourd’hui aux éditions de l’Elan avec des pages supplémentaires car il manquait quatre pages à l’album de Martens, sans doute sacrifiées au nombre de pages imposables par album.

« SOS Bagarreur » aux éditions de l’Elan est tiré à très peu d’exemplaires, 250 et ils sont de luxe.

Plus tard, j’ai été voir du côté de la Hollande où j’ai d’abord travaillé pour PEP, illustrant « l’Appel de la forêt » de Jack London et ensuite j’ai sorti « Steven Severijn » avec Yvan Delporte au scénario pour EPPO, neuf titres actuellement réédités par BD Must. A l’époque seules trois histoires avaient été traduites sur les neuf...

Vers 1984, j’ai fait la connaissance de l’éditeur Lefrancq qui m’a demandé d’illustrer un gros album consacré à Toutankhamon. De l’illustration aux lavis, mon travail préféré ! Après, Lefrancq m’a proposé le personnage d’Edmund Bell, tiré des histoires de Jean Ray, écrites alors sous le pseudonyme de John Flanders. Le découpage ayant été fait par Jacques Stoquart dans les deux albums illustrés, nous avons continués ensemble afin de construire une bande dessinée, dont quatre titres sont parus, le 5 ème étant fait par un autre dessinateur.

Pour Lefrancq j’ai aussi fait des couvertures pour les textes d’Henri Vernes, les Bob Morane et en bande dessinée j’ai fait « Daddy », tiré du roman de Durand. Harry Dickson, Edmund Bell et Bob Morane, je les dessine si jeunes parce que c’est comme cela que je les ai imaginés, ils ont un âge indéterminé ! D’ailleurs, l’ami de Bob Morane, Bill Ballantine est présenté comme un grand gamin dégingandé, il est toujours là pour enfoncer les portes et soutenir les poutres, faire tout le travail manuel…

Pour le journal de Mickey j’ai dessiné Les Zingaris dans les années septante, avec Delporte au scénario et Spirou en a réimprimé deux ou trois épisodes et ils ont finalement été mis en albums par les éditions Loup.

Viennent ensuite les « Autos de l’aventure », deux volumes avec Jean-Claude de la Royère au scénario. C’était publié par Citroën même qui pour l’occasion avait créé une maison d’édition du nom de l’Yser, là où à Bruxelles ils ont leurs locaux (place de l’Yser) ! Maison d’édition qui n’a pas fait long feu puisqu’il en existait déjà une de ce nom ! D’ailleurs c’était de la publicité déguisée !

En 2002, André-Paul Duchâteau m’a proposé d’illustrer cette histoire qui se passait sous la révolution française, intitulée Terreur, parue en deux volumes, réédité en 2002 en intégrale.

Puis cela a été « Shelena » avec au scénario Jéromine Pasteur, une grand navigatrice qui a vécu pendant plusieurs années avec une tribu d’indiens d’Amazonie et a écrit pas mal de livres à leur propos. Elle a imaginé une aventure se passant du côté de Panama, durant le creusement du canal, une histoire peu maritime quoique la mer soit présente, l'histoire d’une petite indienne qui se lie d’amitié avec un jeune immigré qui vient d’Haïti et dont le père a travaillé au creusement du canal. Shelena, c’est la jeune fille se balade avec un faucon.

J’aime dessiner les animaux, je n’ai pas l’érudition de Frank Pé mais j’aime les dessiner.

Plus tôt et c’est anecdotique de mon époque Spirou, j’ai fait trois malheureux dessins pour le fameux Trombone illustré, la plupart des pages étant occupés par des grands noms, surtout des Français. J’ai illustré trois chroniques dont une de Fredric Brown que j’ai apprécié, il manie des sujets d’une façon très concise !

2010 et « l’Affaire Dominici »… Pascal Bresson, un copain scénariste particulièrement attaché à ce fait divers qui remonte aux années cinquante, ayant accumulé une tonne de documentation sur ce sujet, m’a demandé de l’illustrer en un tome. Je n’ai même pas regardé le film, celui avec Jean Gabin, et d’ailleurs il y a deux films, j’ai à peine vu quelques extraits pour ne pas me laisser influencer, je me suis surtout imprégné des textes et des photos d’époque.

Je ne connaissais pas Rodolphe et avais très peu entendu parler de lui, il a pris contact avec moi et m’a dit que lui-même et José-Louis Bocquet, directeur d’Aire libre chez Dupuis, était attaché au projet de faire une BD sur la vie de Stephenson. Rodolphe avait déjà écrit une biographie sur cet écrivain il y a une trentaine d’années. Le Stephenson était terminé en 2012 mais pour une raison budgétaire sa parution a été reportée en 2013. Entre temps j’ai travaillé sur un autre scénario de Pascal Bresson qui a pour thème la ségrégation raciale aux USA, la période des années 20 le Klux Klux Klan. Pour ce faire, il a créé un héros noir dont l’histoire se termine au début de la seconde guerre mondiale. L’ouvrage paraîtra chez Glénat au printemps prochain.

Je préfère de loin l’illustration, quand de fais de la BD je dois enfermer mon travail dans des cases, reproduire continuellement la tête du personnage sous tous les angles. Je m’amuse avec les illustrations car je peux facilement passer de l’un à l’autre, ne pas m’appesantir sur un travail… J’honore certaines commandes, des personnages ou des scènes affectionnées par des personnes qui le demandent. Je suis attaché aux belles histoires, comme « le Vieil homme et la mer » et l’intérêt pour moi est de capter une image qui résume tout le contexte.

Pour moi la retraite n’existe pas et j’espère m’en aller le crayon à la main…

(photo JJ Procureur et merci de m'avoir introduit auprès de l'auteur !)

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