JOEL ALESSANDRA, AVENTURIER DE LA BD

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A la lecture du pédigrée de Joël Alessandra, je m’imaginais rencontrer un baroudeur musculeux recouvert de tatouages et de cicatrices, le crâne rasé, l’œil vif et perçant, affuté par l’horizon sans cesse scruté, la  voix rauque aux cordes vocales usées par le sable du désert, une Cory maïs sans filtre au bec, flasque en métal à portée de main, exhalant un remugle indéterminé, histoire de combattre une malaria tenace…
Ce fut tout le contraire, un homme sympathique et ouvert au monde, amoureux de l’Afrique authentique, celle que nos explorateurs n’ont pu conquérir, à peine frôler de leurs griffes avides de richesses, une Afrique millénaire…
De temps en temps, l’homme pose son sac et nous régale des croquis qu’il a ramené de là-bas, aventuriers des images.
Le soupçonnant d’avoir bidouillé par photoshop ses pages à cause de l’harmonie de ses couleurs, il me scie en répliquant que ses bruns sont créés avec du café ! Rien de tel qu’un fond d’Arabica pour créer une ambiance !
« Errances » est son ouvrage paru chez Casterman et ses images colorées, partagées entre la mer et ses boutres, la terre et ses décors ancestraux et ses gamins en AKA 47 comblent les murs blancs de la galerie Paris-Bruxelles. A admirer du 28 mars au 13 avril. N’hésitez pas, les œuvres sont à un prix démocratique !


« Errance en mer Rouge » c’est 80 % de vécu, c’est une fiction autobiographique,  j’ai habité deux ans à Djibouti dans les années 90 et j’y retourne tous les ans depuis 25 ans. J’ai plein d’amis là-bas. Je vais aussi en Ethiopie, y faire des interventions dans les orphelinats, des ateliers BD. Tony, le personnage principal de l’histoire c’est moi, il est dessinateur comme moi mais c’est surtout un prétexte pour insérer dans l’histoire mes dessins issus de mes carnets de voyage ainsi que des photos faites sur place !
L’autre personnage, Fred c’est Nicolas, un ami à moi. Nous sommes arrivés en même temps là-bas, lui est resté. Il a monté plusieurs sociétés de tourisme mais aussi surtout a monté une boîte de sécurité, des hommes armés pour contrer les attaques des pirates somaliens. Je voulais raconter son histoire, mais de manière détournée… Fred/Nicolas veut toujours m’emmener avec lui dans ses voyages, je suis courageux mais pas téméraire. J’ai deux enfants et je pense à eux, mais il est clair que si je ne les avais pas eu, j’irais !
Il m’est déjà arrivé de vivre des situations étranges, où je me dis que ma dernière heure est venue, comme au Tchad. Je voyageais dans le désert avec mon guide et me suis aperçu que nous étions suivi par un pickup rempli d’hommes armés.  Il nous rattrape et nous voilà encerclés d’ados en turban et ray ban, kalach au poing. Des pirates… des rebelles ? Non, des militaires qui avaient emmené femme et enfants en patrouille/ pique nique !
Je ne pouvais pas faire une BD classique dans ce cas, utiliser ce gaufrier. Pour « Errance… » il fallait que cela respire car il faut de l’espace, c’est l’Afrique, un territoire avec ses grandes étendues. Je devais m’affranchir des cases, mélanger les techniques, ajouter mes photos qui rendent plus crédible l’histoire. Donner du rythme. Il y a beaucoup de doubles pages, ce sont les images de là-bas qui veulent cela et j’aime que les histoires s’installent doucement. Je suis moins à l’aise dans l’action, j’installe à la Pratt, de façon très latente et les doubles pages servent le récit dans ce sens-là. C’est très visuel, pratiquement du cinéma, lent, sans beaucoup de texte...
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Cela faisait longtemps que « Errance… » me trottait dans la tête. Je voulais faire un truc sur la vie africaine d’Arthur Rimbaud mais cela avait déjà été fait… puis c’est Henri de Montfreid, mon auteur préféré qui est devenu le fil rouge de mon histoire. Fred/Nicolas est un passionné de l’auteur, c’est un Montfreid moderne. Il a adopté les us et coutumes locales, s’habille en fouta (sari somalien), broute du khat, parle l’arabe, le somali, connaît le territoire par cœur… C’est un des derniers aventuriers modernes, dans un pays qui est un des derniers territoires d’aventures…
J’ai toujours voulu faire de la BD. L’occasion m’en a été donnée à Rome où j’ai habité pendant 5 ans. En me rendant à une fête j’ai rencontré Daniella, la sœur de Andrea Pazienza, auteur de BD. A l’époque il bossait pour Il Grifo avec des pointures comme Pratt, Liberatore, Manara, Giardino. Elle m’a proposé de lui montrer mes planches mais je n’avais rien fait ! Alors j’en ai dessiné quelques unes à la va-vite et quinze jours après l’éditeur de Il Grifo me rappelait. Le mois suivant j’étais publié avec  Loustal, Manara, Pratt que je croisais dans les couloirs. J’y allais souvent parce qu’on y mangeait bien ! J’avais 25 ans et je partageais les quatrièmes de couverture avec Manara !

(photos JJ Procureur)
j'avais oublié :)
 

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