Scénariste : Yves Sente
Dessinateur : Steve Cuzor
Coloriste : Meephe Versaevel
Editeur: Dupuis
L’histoire commence en mai 1944 sur une base américaine implantée de Douvres. En fait de base, il, s’agit plutôt d’une base factice destinée à détourner l’attention des allemands sur le projet de débarquement. Les soldats, principalement de couleur noire, ont la tâche ingrate de déplacer de tanks factices et de tirer en les ratant les avions allemands qui viennent les survoler (afin qu’ils puissent relater leurs observations). Trois hommes, Linc, Aaron et Tom, s’y morfondent. Ils trouvent injuste qu’en raison de leur couleur de peau, on les affecte à des tâches secondaires tandis que les hommes blancs ont le privilège de pratiquer des missions à risque qui pourra leur apporter la gloire…
L’histoire aurait pu aussi commencer en janvier 1977, lorsqu’un certain Georges Washington, qui n’est pas encore président, rend visite à Betsy Ross, une veuve qui gère un atelier de couture. Il lui confie la mission délicate de coudre sur base d’un dessin le futur drapeau des indépendantistes, soit ce qui deviendra le premier drapeau américain. Pendant qu’elle prépare cette commande, sa servante noire, Angela Brown va perdre deux membres de sa famille tuées à cause de la couleur de leur peau. En leur mémoire, elle décide de coudre à l’insu de tous, une étoiles à cinq branches en tissus noir (d’où le titre de l’album) en dessous d’une des étoiles jaunes. En faisant cela, elle voulait intégrer symboliquement la présence de la population noire au sein des futurs Etats-Unis d’Amérique…
Lorsqu’une étudiante, la sœur de Linc, va découvrir le journal d’Angela Brown, le gouvernement va décider d’essayer de retrouver ce bout de tissus si symbolique pour la nation. Le problème est que le drapeau semble être aux mains des nazies, ce qui ne facilite pas les choses en ces temps de guerre.
Linc et ses deux compagnons voient dans cet objectif une manière de redonner à la population noire son titre de noblesse. Ils partent donc à sa recherche accompagnés d’un officier américain.
Retrouver le drapeau va cependant s’avérer beaucoup plus difficile, alors qu’il était initialement localisé à Paris, il a été emporté par un officier, le major Schlupf parti en campagne dans le contexte de l’offensive des Ardennes. Cet officier est particulièrement cruel et raciste, se faisant appeler le diable.
De cette épopée coulera beaucoup de sang, la perte d’innocences et d’illusions et un bien curieux épilogue…
Il est difficile de résumer un récit dense de 170 pages… Mélange subtil entre une histoire d’action, un rappel historique et un contexte de ségrégation raciale, « Cinq branche de coton noir » ne peut pas être réduit à un résumé de quelques lignes tant la trame du récit est à la fois riche et subtile.
Yves Sente Steve Cuzor disent qu’ils n’ont pas voulu faire de cet album un plaidoyer pour la cause « noire », pourtant toute l’histoire est imprégnée de cette discrimination et cette volonté de montrer au « peuple blanc » que la culture noire mérite autant de considération que la blanche… La suprématie de la cause blanche semble tellement évidente qu’il faut vraiment avoir une âme de challenger pour la contrer et la défier.
Au-delà de cette thématique, les deux auteurs apportent une histoire très riche en rebondissements et basée sur une approche historique créative. Si la première partie se situe davantage au niveau du contexte historique, la seconde partie est un véritable récit d’aventure entre des bons et des méchants, les bons ayant une attitude de vrais héros.
L’idée de mêler une histoire vraie (la confection d’un drapeau) à un récit d’action est plutôt bien vu, d’autant plus que l’ensemble est cohérent et renforce la crédibilité du récit. Une mention spéciale pour les dessins particulièrement bien réussis et le coloriage en couleurs unies par planches de Meephe Versaevel. Si la version noir et blanc doit sûrement être aussi très riche, le fait de procéder par teintes similaires pour chaque planche donne un très chouette effet.
Les éditions Aire Libre de Dupuis fêtent leur 30 ans, elles font cela dignement en montrant que le concept d’album one-shot (ou en trois tomes maximum) de qualité peut être pérennisé sur autant d’années. Deux éditions spéciales ont été tirées pour l’occasion, une à un tirage limité à 777 exemplaires avec une jaquette spéciale et une version en noir et blanc tirée à 1000 exemplaires.
Un album tel que « Cinq branches de coton noir » vient démontrer que le concept a encore de nombreuses belles années à venir. Un album qui mérite un coup de cœur pour son concept travaillé et fouillé mais également très divertissant !
Phylact