Seules à Berlin
Dessinateur : Nicolas Juncker
Scénariste : Nicolas Juncker
Coloriste : Nicolas Juncker
Editeur: Casterman
Nicolas Juncker a imaginé un destin croisé entre deux femmes qui ont réellement existé et que tout opposait à priori… Pourtant, après une phase de rivalité voire de colère par rapport à l’autre, ces deux femmes vont se rendre compte qu’elles ne sont peut-être pas si éloignées de leur situation en raison de leur statut de femme. En effet être femme dans l’armée russe, c’est risquer de se trouver violée par l’un ou l’autre camarade. Etre une femme allemande face à une armée russe revancharde, c’est aussi faire l’objet de viols répétés. Chacune à sa manière a développé une stratégie qui est peut-être davantage de l’ordre de la survie…
Un deuxième point commun est que ces deux femmes ne sont pas spécialement endoctrinées par l’idéologie de leur pays. Eugeniya n’a pas ce sentiment de revanche comme ses compatriotes ; au contraire, elle apprécie même de découvrir ce peuple allemand. Ingrid non plus n’est pas pleinement investie dans l’idéologie nazie même si elle en a intégré certains principes. Si elle s’est mariée avec un officier du régime, c’est davantage pour le prestige de l’uniforme que pour ce qu’il représente. On peut même imagine qu’elle en veut à cette guerre de l’avoir séparée de son mari…
Cette confrontation entre ces deux femmes est pour moi la dimension la plus intéressante de ce récit. Le contexte historique (exactions de l’armée russe, lutte pour trouver le premier le corps de Hitler,…) complète de manière instructive l’ambiance qui pouvait régner en cette période de fin de guerre… Nicolas Juncker retranscrit bien dans certaines planches la désolation de ce contexte : bâtiments en ruine, population terrée et terrorisée…
J’ai personnellement fort apprécié le style de dessin et sa mise en couleur (en fait des variations de gris au pinceau) qui s’inscrivent dans la logique de ces années sombres.
Entre un livre dénonçant à la fois les atrocités de la guerre et la violence faite aux femmes dans un conflit armé où les hommes sont majoritaires, « Seules à Berlin » mérite pour moi un coup de cœur. Ma seule crainte serait que certains lecteurs passent à côté de ce livre car trop gris et peut-être pas assez attractif pour eux. Une mise en scène théâtrale serait peut-être aussi à envisager.