Les premières pages, c'est un peu le jaune d'oeuf gobé en une bouchée. Rêche, sec, difficile à avaler. C'est que le dessin, étriqué et hyper réaliste n'a franchement rien d'emballant. Des paysages découpés au cutter aux décors bien trop stylisés, il manque cruellement de souplesse, de "vie" tout simplement. Quant aux couleurs fadasses, elles ficheraient le bourdon à une abeille, dans un champ de coquelicots, en plein coeur de l'été. Certes, le sujet de l'histoire ne prête pas à la franche rigolade, mais était-il absolument nécessaire que les couleurs collent d'aussi prêt à l'ambiance? Pas sûr...
Les dialogues? Passés les premières cases qui reprennent quelques vers de Baudelaire extraits du Voyage, ils ont eux aussi, à l'instar du dessin, ce petit côté formaté qui manque totalement de naturel et de spontanéité.
Au final, bien trop peu d'émotion à l'horizon de ce récit qui semble bizarrement être resté dans les starting block et dont le joli titre, à tout le moins, augurait mieux. On ne vit en effet que de fort loin, avec beaucoup de détachement, les souffrances et les états d'âme des divers protagonistes. Même si, bien sûr, le format des bandes dessinées est difficilement comparable avec celui des livres, on est très loin de l'émotion et de la réflexion provoquées par la lecture, sur le même thème, de la clandestinité, de Ulysse from Bagdad d'Eric-Emmanuel Schmitt ou encore de Un aller simple de Didier Van Cauwelaert.
Et pourtant, elle aurait pu être belle et bien plus touchante cette histoire qui raconte la détresse de quelques immigrants clandestins africains débarqués en France, alors qu'ils pensaient enfin atteindre la terre promise d'Angleterre. La mise en perspective, qui rappelle un peu le synopsis du film Welcome avec Vincent Lindon, de ces vies en péril avec celle de Jules, ancien cadre débarqué, lui, d'une entreprise pharmaceutique et de la vie de sa jeune fiancée est vraiment intéressante, mais trop peu aboutie. Cette mise en parallèle de la quête de Jules d'un sens à sa vie et cette recherche désespérée de ces immigrants du moyen ultime qui leur permettra de franchir enfin les sens uniques qui se présentent à eux pour tout accueil aurait mérité, selon nous, plus de nuances et de subtilité. On aurait aimé voir un Larcenet aux commandes d'une si belle idée de départ!
Peu à peu, au fil des pages et de la relation qui se noue entre Jules et les clandestins, on se laisse certes gagner par la curiosité. Et puis, bien sûr, l'histoire, qui évite les bons sentiments trop faciles et autres poncifs du genre, est empreinte d'une belle humanité qui "fait du bien". Mais c'est malheureusement insuffisant pour faire de cette bande dessinée une vraie bonne surprise.
Vds