ECRITURES DIX ANS entretien avec Sergio Salma et Nadia Gibert.

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Ecritures de Casterman fête ses dix ans d’existence et en profite pour s’exposer au Centre Belge de la Bande Dessinée. L’occasion rêvée de faire le point et d’évoquer cette collection qui se veut être un chaînon manquant entre la littérature et la bande dessinée. La digne héritière d’A Suivre qui a mené la bande dessinée belge vers l’âge adulte…

 

Entretien avec Sergio Salma, auteur de Marcinelle 1956 et Nadia Gibert, éditrice.

Shesivan : Quels sont les critères pour faire partie de la collection Ecritures ?

Nadia Gibert : il y en a plusieurs : le propos, l’histoire, l’ampleur et les motivations de l’auteur car si le récit l’anime il va être riche. Le graphisme, aussi mais aucun n’est plus primordial que l’autre, c’est surtout l’émotion que cela génère. Ce n’est pas une BD de plus. Ce n’est pas un récit fait « en passant », mais il y a une urgence, une volonté qui pousse l’auteur à le faire...

Sergio Salma (à propos de Marcinelle 1956) : Il y avait un sujet qui tournait dans ma tête depuis des années, j’avais le besoin de le faire. L’idée était basique comme point de départ, la région était inscrite en moi ! Quand j’ai publié mes premiers travaux, vers 1980, on rasait les derniers charbonnages en Belgique, je me suis promené et j’ai saisi l’ambiance. Un jour je suis arrivé devant le site de Marcinelle complètement à l’abandon et j’ai senti qu’il s’y était passé un truc qui avait marqué la région, marqué le métier, aussi l’histoire de la Belgique et des pays qui ont vécu du charbon. J’ai donc décidé d’en parler et j’y ai greffé des trucs plus personnels.

Nadia Gibert : Sergio publiait chez Casterman, alors on a demandé mon avis. Nous avons travaillé ensemble, j’ai resserré les boulons. Je veux que cette collection soit de qualité, qu’elle propage une narration romanesque, proche de la littérature, chose primordiale. Nous avons un lectorat BD qui est énorme mais aussi tout un pan ne lit pas de BD, des gens ne s’imaginent pas être émus par la BD. Pour les amener à découvrir Ecriture il faut se rapprocher du format des romans, il faut aussi les toucher. Quand nous avons publié Tamigushi en 2002 et il y avait tout un tas d’ingrédients qui faisaient que cela ne marcherait jamais, produit japonais avec un mode narratif différent, du manga… Et pourtant… La BD est un langage universel, il y a des histoires qui touchent tout le monde. Cette collection a réussi dans ce domaine.

Sergio Salma : Nous sommes en plein dans la profusion en BD, il n’y a pas de suivi. Tout va trop vite, tout est très formaté. C’est actuellement la même démarche qu’au cinéma, dès qu’un film marche on lui emboîte le pas. Mais on peut aussi bien se planter en publiant un truc élitiste !

Nadia Gibert : Je suis la majorité des livres mais pas tous, disons à 95 %. L’auteur fournit et le met en page, je suis sa première lectrice. C’est un travail de confiance réciproque. Ma seule intervention est au service de l’histoire. Le délai est plus long qu’un 44 pages. C’est un genre de travail de proximité.

Sergio Salma : Pour moi qui suit habitué aux 44 pages, Marcinelle 1956 fait 240 pages. Il faut se sentir soutenu. On suit un projet en continu et il y a une patience de l’éditeur qui attend les planches. Dès le départ j’ai senti que j’étais soutenu.

Nadia Gibert : Il a travaillé tout seul texte et dessin, sur le long terme c’était un challenge que Sergio n’avait jamais fait auparavant. Il voulait montrer autre chose de son travail, il nous a bluffés. C’est la magie des auteurs, ils arrivent toujours à nous surprendre. Au premier abord j’ai pensé que ce n’était pas gagné jusqu’à ce qu’on découvre l’envie et la passion qu’il y a mise. Au fil des discussions on voyait le récit se construire avec les doutes et les remises en cause.

Sergio Salma : Mon récit était très long, surtout la partie muette mais les pages où il y a des répétitions ont leur signification. En attendant l’éditeur ne voyant que ces pages peut commencer à douter. J’ai été piégé par les à-côtés du travail. 5 ans de boulot c’est long et pendant ce temps-là la vie continue avec ses petits problèmes. J’en arrivais quasiment à ressentir l’oppression qui habitait le personnage principal tandis que je le dessinais, que je vivais avec lui.

Nadia Gibert : Le nombre de pages impose un rythme aux histoires. Il y a des histoires qui sont lentes, des pages pour inscrire la lenteur, la pagination est fluctuante et dépend des projets. Pour les récits étrangers je les achète tels quels, il y a des longueurs mais elles font partie du récit. Les auteurs ne tirent pas à la page pour la collection, ils ne sont pas payés à la page ! Le nombre de pages est finalement fonction du rythme que l’auteur va mettre dans sa bande dessinée.

Conclusion : vu l’enthousiasme avec lequel l’auteur et l’éditrice ont parlé d’Ecritures, nous pouvons affirmer qu’il s’agit d’une collection passionnante pour les passionnés !

http://www.cbbd.be/fr/expositions/les-grandes-expositions-temporaires/dix-ans-d-ecritures

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