ZIYI: histoire sans parole - Interview de Jean-Luc Cornette

ZIYI est un de ces ovnis bédéistes, un de ces bouquins qui échappe à toute forme de catalogage et qui dés lors fait peur à tout éditeur qui ne désire en aucune manière effaroucher son public, d’où Scutella, éditeur prêt à prendre ce risque. Et avec raison ! Privé de dialogues, Ziyi est une longue suite de vignette noir et blanc, un conte post-apocalyptique où on suit cet espèce… d’animal ( ?) qui erre dans un monde de fin de monde et découvre la bestialité humaine dans toute sa bassesse à travers la candeur de ses grands yeux.
Cette fable cruelle est due à Jean-Luc Cornette, dessinateur, éditeur et scénariste (c’est vous dire si il connaît le monde dans lequel il évolue) auteur complet qui n’hésite pas à remettre son parcours en question en osant écrire de pareilles histoires. Il vient de faire parler de lui avec le Sourire de Mao (avec Michel Constant chez Futuropolis) où la plupart des lecteurs ont été plus bouleversés par la description de cette Wallonie du futur que par le récit en lui-même) Il est comme cela, Cornette, déconcertant. Une espèce de Lionel Messi de la BD ; il feinte vers la gauche et passera à droite.
Il est épaulé sur ce projet improbable par Jürg, dessinateur qui aime évoluer dans le second degré, dessinateur de polars cyniques et grotesques, genre de pendant aux frères Coen, dont le travail sur Ziyi me fait penser à un certain Crumb. C’est vous dire mon admiration car il embellit la laideur, obscurcit la clarté et son noir et blanc confère à l’expressionnisme.
Réservez une place à Ziyi dans votre bibliothèque, sans regret !
ziyi

Jean-Luc Cornette en parle :

D’où vient l’idée de faire une histoire muette ?

Si l’histoire ne nécessite pas de mots, il ne sert à rien d’en écrire. Ziyi est un récit émotionnel. Les images étaient suffisantes pour rendre cela.

Est-ce que c’est plus difficile à faire qu’une histoire avec bulles ?


Ce que beaucoup de gens ne savent pas toujours, c’est qu’une histoire sans texte visible est une histoire écrite. La narration a été conçue et structurée rigoureusement et les images ont été décrites avec précision. Il y a donc un réel et important travail de scénarisation. Chaque page de bande dessinée nécessite au moins une page de scénario écrit. Un récit « muet » est beaucoup plus précis, au niveau du scénario, qu’un récit dialogué. Chaque image doit faire passer une information au lecteur sans autre outil que le trait du dessinateur. On n’a pas le droit de se tromper. On doit, en l’absence de texte, découper plus en détails chacune des séquences, pour ne pas perdre nos lecteurs en cours de route. Et l’entente sur ce qu’il faudra représenter doit être extrêmement claire entre le scénariste et le dessinateur. Celui-ci au moment du passage des mots au dessin réfléchira à son tour à la narration et à la lisibilité et il n’hésitera pas à parfaire encore un peu plus les cadrages nécessaires.

Quelles qualités devait avoir le dessinateur acceptant un tel défi ?

  Il doit être un narrateur aguerri. Il doit pouvoir déterminer un cadrage idéal et faire comprendre l’information principale de chaque image. En fait, il doit maîtriser l’art de la BD parfaitement.

 Comme s’est déroulé le choix de l’éditeur ? Où es-tu allé chercher cet éditeur ?

On a d’abord cherché auprès des « majors ». Un certain nombre de directeurs éditoriaux de ces maisons se sont montrés très intéressés lors de la présentation du projet qu’on leur avait faite lors du festival d’Angoulême. Ils ont été agréablement surpris par ce projet hors norme. Durant la semaine qui suivit nous avons connu un énorme retournement de situation. Tous revinrent sur leur avis. Notre roman graphique très violent, en noir et blanc, et muet s’était transformé subitement de projet fantastique en projet invendable. L’un n’empêchant pas l’autre évidemment. Mais notre déception fut quand même presque aussi violente que le scénario de Ziyi. Suite à ça, nous avons décidé de partir à la rencontre de plus petits éditeurs sachant qu’ils peuvent être moins frileux et plus audacieux. Quelque temps après Jürg rencontra Soline Scutella qui fut très émue à la lecture des premières pages et décida de publier l’album.

As-tu besoin de te remettre quotidiennement en question ?

 Ce n’est pas une question que je me pose. Naturellement, mon parcours évolue en dents de scie. Je n’écris plus comme il y a dix ans. Je m’intéresse à d’autres choses qu’il y a cinq ans,… Je suis curieux de tout, et je n’ai pas envie de m’embêter. Des gens viennent vers moi, je rencontre des dessinateurs, des propositions d’éditeurs me tombent dessus… Les choses se font toutes seules, sans calcul. Juste avec envie et passion.

Qui est Ziyi, finalement ? Un ET, un animal, un mutant, un fantôme, une allégorie ?

Ziyi c’est moi. (Vu que Madame Bovary était déjà prise.)

Y a-t-il une morale à cette fable ?

Il n’y a pas de morale à cette fable, mais je crois que cette fable est morale.

ZIYI - par Jean-Luc Cornette (scénario) et Jürg (dessins) Scutella éditions, 2013.


Identification (2)