A l'occasion de la sortie du #2 de cette superbe série aux éditions Dupuis, nous avons rencontré son auteur dessinateur, le très talentueux Alain Henriet.
Scénario : Yann
Dessin : Alain Henriet
Coloriste : Usagi
Éditions : Dupuis
Mai 2021
1ère partie : Alain Henriet, le dessinateur
Alain Henriet, comment passe-t-on de « Vendeur de bonbons sur les marchés » à « Dessinateur de Bande Dessinée à succès » ?
Attention : je n'étais pas vendeur de bonbons : c'était mes parents qui l’étaient (et ma sœur), mais je les accompagnais sur les marchés de Charleroi quand j’étais gamin.
On commence à dessiner sur les caisses, entre 2 clients, ou dès qu'il y avait un peu de temps libre. Clairement, je passais mes week-ends à faire ça et j’adorais déjà.
Mais bon, quand j'avais 9 ans, je n'imaginais pas du tout que je pourrais devenir dessinateur de bande dessinée ; cela me paraissait totalement inaccessible.
Un autre facteur déterminant a été que dans la même rue que le marché vespéral de Charleroi, se trouvait aussi le bâtiment des éditions Dupuis ! Et donc chaque semaine lorsque j’étais gamin, je passais devant ce bâtiment mythique à mes yeux... et je me suis toujours demandé ce qu'il se passait derrière ces portes…
Pour les belges que nous sommes, réussir à entrer aux éditions Dupuis est comme piloter une Ferrari en F1…. Comment diable avez-vous réussi à y entrer ?
C'est très simple : à l'époque, Dupuis a lancé un concours de BD. Dans les académies et les écoles supérieures d’Art. Nous avons été 2 à remporter ce prix. Le prix était un stage de 4 mois sur place. L'occasion donc de passer cette fameuse porte, de croiser les dessinateurs et donc d'être au cœur de la maison d'édition. Malheureusement, la plupart des dessinateurs qui passaient dans le journal de Spirou étaient des dessinateurs humoristiques et moi alors que moi, j’ai toujours eu un style plus réaliste. Je suis resté un peu « dans le vide » pendant 4 mois… jusqu à ma rencontre avec Dodier, le dessinateur de « Jérôme K, Jérôme Bloche » J'ai passé une journée complète avec lui et ça a été pour moi la plus belle rencontre de ce stage.
Depuis quelques années -surtout depuis l’arrivée de l’iPad Pro et de son stylet-, on voit que pas mal d’auteurs switchent doucement vers un travail numérique : soit à 100%, soit pour la mise en page, soit encore pour la colorisation. Quel est votre cheminement graphique aujourd’hui, Alain Henriet ?
J'ai toujours aimé travailler à la main.
Auparavant, une fois mes crayonnés faits, je repassais tout à la table lumineuse, et je m’y suis bien explosé les yeux. J'ai travaillé ainsi pendant des années, mais lorsque on est en plein été et que vous devez fermer les rideaux… ce n’est vraiment pas gai.
Un jour, je croise Gazzotti (« Soda », « Seuls ») à Marcinelle et je le vois imprimer des pages en couleur bleue qu'il ancre par la suite. J'ai essayé de faire comme lui en adaptant à ma manière : au lieu de passer les dessins en bleu, je les ai scannés. Et donc j’assemble avant mes crayonnés et après ça, je transforme le trait noir en bleu. Ensuite, je les imprime et ancre ensuite par-dessus.
Je peux ainsi changer beaucoup plus de détails qu'avec mon ancestrale table lumineuse.
J'ai déjà essayé d'utiliser un iPad avec son stylet, mais ça ne m'intéresse vraiment pas.
Qui est votre 1er lecteur ? A qui montrez-vous en premier votre travail ?
Tout simplement à Yann.
D’abord, je reçois son scénario. Je fais toujours un petit dessin brouillon à côté de ces lignes, histoire de visualiser la scène. En bas de page, je fais ensuite un petit découpage de la planche qui mesure 2 cm sur 3 (c’est vraiment du minimalisme) ; cela me permet ainsi de placer des petites cases.
Après, je réalise mon vrai découpage qui fait 10 centimètres sur 13 et demi ; il doit être super propre et très clair, surtout clair !
Ensuite, je l'envoie à Yann et avec le découpage, il voit directement si ça fonctionne ou pas, si c'est lisible ou pas et si ça correspond à son idée. Il arrive que de temps en temps, il demande un petit changement. Je réalise ensuite le dessin.
Dent d’Ours a été une série qui a marqué son public. Les aventures d’ Hanna, Max et Wern sont-elles réellement terminées ?
Non. Aujourd'hui, on a terminé l'histoire pour laquelle Yann était venu me chercher, tout simplement. Mais on a laissé des pistes à la fin des tomes 5 & 6 pour un 3ème cycle, mais on a décidé de ne pas faire pour l'instant.
D’abord, afin de ne pas faire « rallonge », mais aussi et surtout parce qu’on avait depuis 5 ans le projet de faire la série « Black Squaw ». On a donc terminé l'histoire originel et on est passé à une autre histoire, mais on reviendra un jour sur « Dent d’Ours » pour un ou 2 cycles peut être.
Mais en laissant le temps de bien faire mûrir nos nouvelles idées. On n’a vraiment pas envie que cela sente la rallonge ! Notre but,quand on reviendra, sera de ne pas décevoir notre public !
Vous faites actuellement rêver des milliers de lecteurs avec vos pages. Enfant, qui était vos maitres ?
J'ai cité Dodier, mais j'avais déjà 21 ans. Néanmoins, quand j'étais gamin, j'avais eu un Spirou « Spécial Noël » et dedans, il y avait l'intégrale de son premier « Jérôme K Jérôme Bloche » que j'ai dû lu lire 300 fois !
Sinon, mes vrais amours de jeunesse c'étaient les « Tuniques bleues » (Cauvin & Lambil) et « Le Scrameustache » (Gos) ; c'étaient mes 2 séries préférées, même si c'était un dessin plus humoristique et que moi j'étais plus réaliste…
Vous approchez tout doucement de la cinquantaine aujourd’hui Alain Henriet. Parmi la nouvelle génération de dessinateurs, avez-vous des coups de cœur ?
Je dois vous avouer que je vais maintenant beaucoup moins en magasin qu'auparavant. Il doit y avoir plein de choses que j'aimerais bien. Mais je ne saurai pas citer de nom comme ça… On sent que cette génération est plus influencée par le Manga. Il y a des pleins de choses, très, très bien, mais on retient plus facilement les noms de ceux avec qui on a commencé.
Pour la promotion de votre nouvel album, vous allez faire « cadeau » à vos lecteurs de séances de dédicaces durant les prochaines semaines. A l’heure du Covid, on remarque que de plus en plus d’auteurs les réalisent de chez eux, sur « commande », mais ce mouvement de bascule a débuté depuis déjà quelques temps. Quel est votre position sur cette nouvelle pratique ?
Chacun fait ce qu'il veut dans la vie, tant qu'il ne fait de mal à personne.
Moi personnellement, ce que j'aime surtout, c'est discuté avec les gens, avec mon public. Si je pouvais passer ma journée sans faire de dessins, à ne faire que parler je le ferais !
Du coup, je ne fais jamais de commission, jamais de dédicace chez moi alors que j'ai beaucoup de demandes. Pour les dédicaces, c'est donc uniquement en librairies. Je vois ainsi plein de gens, ça me fait plaisir de les voir. Je papote toute la journée, le public est content de me croiser et je fais des petits dessins.
Je préfère d’ailleurs faire un « petit dessin sympathique » pour un maximum de gens plutôt qu'une grande fresque juste pour une personne qui va me refiler de l'argent.
Évidemment, si je faisais des dédicaces à la maison, je gagnerais un peu d'argent on est bien d'accord…mais franchement, je m'en passe !
Des auteurs « établis » comme Gihef, Cécil (Holmes), Marc Moreno (Le régulateur) ou tout récemment Jean-Charles Gaudin (Marlysa) se lancent dans l’auto-édition, via des plates-formes de CrowFunding.
Qu’en pensez-vous ? Vous voyez-vous un jour tenter cette aventure avec un projet plus personnel ?
Jamais ! Je ne vais pas commencer à faire les feux rouges pour vendre moi-même mes bouquins, faire des tonnes de caisses et les envoyer moi-même. Non, ça ne m'intéresse pas du tout : je sais ce que c'est que d'être commerçant, mes parents l'étaient. Je connais toute la problématique qu'il y a derrière. À un moment donné, chacun son travail : si c'est pour vendre 500 bouquins et que tout le bénéfice aille dans ma poche, je n'aurai jamais touché que 500 personnes… Je ne vendrai jamais 50000 bouquins moi-même ; ça je n'y crois pas.