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LE PILOTE A L'EDELWEISS - Interview de Romain Hugault (Paquet)
Shesivan : Quelle est la genèse du « Pilote à l’edelweiss » ?
Hugault : A la fin du « Grand Duc » en trois tomes - ça s’était très bien passé avec Yann – nous avons décidé de commun accord de faire une histoire sur la première guerre mondiale. Les avions sont super beaux, faits en matière vivante, bois, toile et cuir. C’était intéressant de s’attaquer à cette période, ce côté chevaleresque des pilotes qui se lançaient des défis.
D’ailleurs plus je dessine la série, plus je découvre des choses hallucinantes. J’ai trouvé d’anciennes photos de pilotes qui volaient en gants de peau de léopard ! Les avions étaient de vrais avions de cirque, aux couleurs flamboyantes, surtout pour savoir quel pilote c’était. Le plus fameux d’entre eux était le « Baron rouge ».
Yann a développé une histoire en trois tomes, une histoire de deux jumeaux, les frères Castillac, inspirée de loin de deux pilotes jumeaux de la première guerre, les frères Anavard, dont un qui se faisait appeler la sentinelle de Verdun. Il se battait près des tranchées où il avait créé une piste de fortune. Il se posait la nuit, moteur coupé pour ne pas se faire repérer et redécollait avant l’aube. Les Allemands l’appelaient la sentinelle de Verdun, il les harcelaient, les terrorisaient car ils ne savaient pas d’où il venait.
Nous nous sommes inspirés de faits réels en étant près des batailles, des équipements mais nous avons gardé les mains libres pour raconter une histoire.
Shesivan : Vous êtes vous-même pilote ?
Hugault : Mon père était colonel, pilote dans l’armée de l’air. Il avait commencé au bas de l’échelle, comme mécanicien de base et a fini colonel. Très tôt j’ai été dans les avions de l’armée, de l’aéroclub. Mon frère est pilote professionnel, mais moi j’avais le petit truc en plus du dessin. Je vole toujours, je suis propriétaire d’un petit avion de la seconde guerre mondiale. C’est important de bien connaître les avions pour bien les dessiner, ne pas faire d’erreurs.
Shesivan : Vous avez volé sur un vieux coucou de la première guerre ?
Hugault : Non. Le mien date de 42. Il doit y avoir encore deux ou trois avions authentiques qui sont encore capables de voler. Mais c’est réservé à une caste d’initiés car ils sont très difficiles à piloter. A l’époque, il n’y avait pas de piste d’atterrissage avec un axe, c’était un champ, on mettait l’avion face au vent pour le faire décoller. L’avion atterrissait également face au vent. Le frein était un sabot, un soc de charrue qui s’ancrait dans le sol. Ces avions étaient très fragiles, souvent les pilotes brûlaient vifs à cause de la plus petite fuite d’essence. Les pilotes allemands maîtrisaient la technique du parachute, mais l’état-major français avait décrété qu’il ne fallait pas de parachute pour que les pilotes ne perdent pas leur mordant au combat. Beaucoup de pilotes sont ainsi morts, il suffisait d’une balle dans le réservoir d’huile. Ce sont des aberrations qui font que c’était d’autant plus hallucinant de voler à cette époque. Cela rend les pilotes d’autant plus valeureux et humains et fait ressortir le côté chevaleresque de ces pilotes qui avaient un vrai respect les uns des autres. Les As (à partir de cinq victoires) étaient des pilotes hors pairs, ils se lançaient des défis, se donnaient rendez-vous pour des duels.
En 14-18, on a tout inventé, le combat aérien, le vol en formation… Les premiers combats en avion étaient au pistolet, les pilotes étaient réduits au rang d’observateurs, d’éclaireurs… Il n’y avait pas d’armée de l’air, l’aviation c’était un bonus. On a armé les avions, on a fait des formations. A la fin de la guerre il y avait de vraies formations de combat, des quadrimoteurs qui survolaient Paris avec des soutes à bombes !
Au fur et à mesure des recherches que j’effectue, je découvre des héros, avec de vraies méthodes de chasseurs, comme utiliser le soleil pour éblouir l’ennemi. J’ai vu les premières photos de combat aérien, Guynemer avait monté une caméra sur son avion. C’est plus vrai que nature ! On voit l’albatros se prendre des obus, très impressionnant.
De l’autre côté, c’était la guerre archaïque, dans les tranchées avec des baïonnettes, des soldats avec des masses d’armes, des cuirasses. Les pilotes avaient des combinaisons chauffantes. Ce qu’on a essayé de montrer dans l’ »Edelweiss » c’est qu’on est entre les guerres napoléoniennes et le combat aérien de grande envergure.
Beaucoup de cavaliers se sont engagés dans l’aviation par dépit, il n’y avait plus de cavalerie.
Shesivan : Il n’y avait pas de formation ?
Hugault : Si, mais ce n’était pas une armée de l’air, c’était un truc à côté. L’armée de l’air française a été créée en 1930. Il n’y avait pas d’uniforme, les pilotes gardaient les uniformes d’armes d’origines. Quand on voit des photos de groupe on découvre un chasseur alpin à côté d’un artilleur, un hussard, un fantassin, des uniformes bariolés. Complètement dépareillés.
Shesivan : Et le fameux pilote à l’Edelweiss ?
Hugault : Yann est tombé sur une photo d’un pilote allemand qui avait décoré son albatros d’une énorme edelweiss, une machine de guerre redoutable avec un moteur V6 avec deux mitrailleuses. Il a rebondit là-dessus en créant un pilote mystérieux. Un gars comme le baron rouge, tout aussi valeureux.
Shesivan : Le pilote à quelque chose à voir avec les jumeaux ?
Hugault : Dans la vraie histoire, non ! Une bonne BD c’est prendre des points précis de la vraie histoire et refaire une histoire intéressante, compréhensible et attractive pour le grand public, c’est du divertissement. Le tome un est le tome de mise en place, c’est l’équilibre entre l’action, les combats aériens et la psychologie des personnages. Tout va avancer dans le tome deux et se dénouer dans le tome trois. Le scénario de Yann me donne des idées de dessins et du coup mon dessin lui donne des idées de scénario, c’est du ping pong. Il y a une vraie interactivité entre nous… on modifie l’histoire suivant les idées qu’on a… J’ai beaucoup de documentation photographique, je ne décalque pas, j’aime trop dessiner…