CASENOVE ET VANDERMEULEN SORTENT SHELLEY AU LOMBARD: INTERVIEW

shelleyShesivan : D’où vous vient l’idée de faire une BD sur Shelley, qui pour nous européens est un obscur poète anglais du XIXème siècle ?

Daniel Casanave: Nous nous sommes plutôt intéressés à un couple de poètes anglais. C’est un diptyque dont le second volet sera consacré à Mary Shelley. C’est un des tous premiers couples à avoir appliqué le romantisme à leur vie, ils ont fugué, ont fait fi de toutes les conventions et sont partis vivre leur propre chemin.
C’est en même temps la naissance du romantisme gothique, donc toute cette imagerie d’aujourd’hui avec Twilight et Harry Potter, nous avions envie d’expliquer au public qui aime ce genre où est né le romantisme gothique…

 

Shesivan :Etant tous les deux dessinateurs et scénaristes, comment travaillez-vous ensemble ?

David Vandermeulen : Daniel et moi sommes des auteurs qui lisons plus de littérature que de BD, ce sont des sujets sur lesquels on s’accorde. Nous partons du principe qu’on travaille mieux ensemble sur des sujets qu’on aime en commun.
Nous aimons cette époque et cette littérature, nous nous considérons comme des passeurs pour essayer de faire connaître ce que nous aimons.

Je fais un scénario qui ressemble plus à un texte de théâtre, c’est très dialogué, très peu de descriptions et je le donne à Daniel.

Daniel Casanave : On part de choses qu’on connait déjà. De Shelley je n’avais lu que Frankenstein, pas son dernier grand roman qui s’appelle le Dernier homme. On évoque plus qu’on décrit le 19 ème siècle, c’est notre vision. Peu importe s’il y a des anachronismes. Une fois baigné dans cette littérature, David fait son scénario qui se lit comme une nouvelle et moi je découpe là-dedans.

David Vandermeulen : Etant moi-même dessinateur, je sais où se trouve ses plaisirs de dessinateur, alors je lui laisse la maîtrise du temps, du découpage et sa part de création en s’appropriant mon texte. En fait je ne peux que travailler avec mes amis, j’exploite nos goûts communs. Avec David c’était facile, parfois on a difficile à choisir des sujets avec tous ce qu’on aime communément. C’est
facile dés le moment où le scénariste se met à la disposition du dessinateur.

Shesivan : Que pensez-vous du format du livre ?

David Vandermeulen : C’est notre éditrice, Nathalie Van Campenhout qui a décidé du format et nous avons été surpris au début parce que c’était la première fois qu’on proposait de réduire le dessin de Daniel. Mais on est très content du côté mignon, c’est un bel écrin pour ce récit.

Shesivan : Vous n’avez pas été obligé d’adapter votre travail à ce format ?

Daniel Casanave: Non… c’est un format A3 et on l’adapte…

Shesivan : Vous n’êtes plus contraint à ce format traditionnel de 44-46 pages ?

David Vandermeulen : Au départ on s’est bien dit que l’histoire ne tiendrait pas sur 46 pages. L’histoire tient sur 140 pages, on voulait faire un gros livre, puis trois livres… On a connu des années mouvementées au Lombard avec ce projet et nous avons côtoyé trois patrons différents qui a chaque fois remettaient la conception du livre en cause. Finalement, Nathalie a eu le regard le plus pertinent par rapport au projet. C’est la première fois qu’on fait un diptyque avec une sortie assez rapproché, tout est fait…

Shesivan : Mais c’est une façon différente de travailler selon un diptyque, un triptyque…

Daniel Casanave : Oui cela a été compliqué mais cela c’est fait passé…

David Vandermeulen : Daniel et moi venons de la BD indépendante où il y a peu de concessions à faire avec l’éditeur mais chez un grand éditeur il y a des règles, des choses qui sont plus pensées selon les « façons » de vendre l’objet. Il est donc normal qu’on doive se plier à certains desideratas !

Mais tout cela se fait avec beaucoup de dialogues. Néanmoins si certains auteurs prennent cela comme une violation de leur travail artistique, cela peut poser problème…
C’est pour cela que certains auteurs ne passent pas dans le mainstream parce qu’ils ont de l’orgueil et des convictions artistiques, trop pour se plier aux envies d’un éditeur. C’est la vie !

Nous sommes très content du résultat, soulagés des premières réactions et de la réception du bouquin. Pour moi, c’est vraiment la première fois que je propose quelque chose pour le « grand public ». C’est notre travail pour le grand public, encore plus qu’avec le commissaire Cremer chez Dargaud.

On est novice dans ce créneau et j’avais peur de ne pas arriver à plaire à ce public qui a ses exigences, qui n’a pas les mêmes demandes qu’un public qui achète de la BD indépendante. Je suis content, c’est de bon augure, je fais mes armes dans cette nouvelle façon d’écrire. On a choisit un thème complexe, quoique naturel pour nous, mais c’est un sujet qui peut effrayer un certain public
parce qu’inconnu ou qui rappelle l’école.

C’est le but ! C’est pour cela que nous avons choisi de faire cette histoire sur le mode de la comédie, nous avons mis le côté pédagogique de côté, un côté vivifiant.
Tous les faits sont vrais mais vus sous un angle caricaturé et déformés par un regard amusé. On fait de Percy Shelley un personnage comique alors que le vrai est plus sinistre et cynique, très narcissique. Daniel et moi on s’accorde pour dire qu’on n’aurait pas envie de partir en vacances avec Percy Shelley, le vrai ! Mais par contre avec Mary, c’est quand tu veux, on l’aime bien, on la comprend plus…

Daniel Casanave : Percy est une tête à claque !

David Vandermeulen : C’est un jeune bourgeois égoïste, m’as-tu vu, abject avec les femmes, un piège à filles incroyable. En tant que garçon on est obligés de détester ce type à qui tout réussi, mais on l’aime quand même, on a de la compassion pour ce personnage et puis, ce sale con a un sacré talent, c’est un précurseur, un révolutionnaire de la littérature, cela le sauve beaucoup, le fait qu’il soit si talentueux.

C’est un sale gosse insupportable sauvé par l’immense génie de sa poésie. Lorsqu’il arrive à Paris rejoindre Verlaine, c’est une petite frappe, il n’a que dix sept ans !

Shesivan : En Europe, il est tombé dans l’oubli ! Par contre Mary Shelley…

Daniel Casanave : Elle a écrit huit romans ! Frankenstein est son premier pas dans les lettres, d’après un jeu entre Lord Byron et son médecin Polidori. Un jour qu’ils s’ennuyaient, ils ont décidé de faire un jeu littéraire dont la base devait être une histoire de fantômes. A 18 ans, Mary écrit Frankenstein… en dix jours ! Polidori, 24 ans, écrit la première apparition d’un vampire dans la littérature ! Et tout cela n’est qu’un jeu pour ces jeunes gens qui ne se doutent pas qu’ils vont révolutionner les lettres, ce sont des passionnés de littérature. A ce moment, ils inventent le romantisme gothique. C’est notre but, expliquer à la jeunesse d’aujourd’hui comment est né ce romantisme gothique !

shesistein

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