INTERVIEW DE TITO: LE CHOIX D'IVANA

ivanaSoledad, Jaunes, Tendre banlieue... Tito est un artiste tout en discretion et d'une sobriété exemplaire qui a trouvé le courage de s'atteler à un one shot qu'il devait faire parce que c'était en lui et qu'il fallait que ça sorte. Une histoire presque banale à force d'être ordinaire mais tellement belle et triste. Tellement vraie...

 

Oui, c’est une prise de risque énorme, faire un album en couleur directe et directement sur la planche. C’est de l’aquarelle… il n’y a pas de repentir à faire, il faut être certain de la couleur dés le départ parce que si on peint un tram en jaune et que par après il faut le mettre en bleu… Il faut être vigilant mais après, c’est une question de trouver l’ambiance et la lumière. Si la planche a un accident, il faut tout refaire ou essayer de sauver les images qui peuvent l’être. Cela ne m’est pas arrivé sur cet album mais cela m’est arrivé !

Cela fait très longtemps que j’avais envie de faire un album se passant en ex Yougoslavie… Sarajevo a beaucoup de points communs avec ma ville natale, Tolède. Mon grand-père me racontait une anecdote à propos des Juifs sépharades qui avaient été contraints de quitter l’Espagne à cause de l’inquisition. Une légende dit que quand le vent souffle et qu’il fait cliqueter les heurtoirs de portes, ce sont les descendants de ces Juifs qui cherchent à rentrer chez eux. J’ai découvert que ces Juifs se sont retrouvés à Sarajevo et j’ai absolument voulu y aller. En 2008, quand Karadzic a été arrêté, j’ai senti qu’il était temps de m’y mettre et j’ai imaginé Ivana, qui est dés lors ancrée dans la réalité. Après mon premier jet, je suis parti à Sarajevo. J’avais vraiment besoin d’aller sur place comme je l’ai déjà fait avec « Jaunes » dans le temps. J’aime m’inspirer de ce qui m’entoure. Arrivé là-bas accompagné d’un ami qui m’aidait à traduire, je lui avais dit de faire gaffe, de ne pas m’appeler Tito, je ne savais pas si cet homme d’état avait fait du bien ou du mal. Les gens sur place m’ont réconforté parce que ce sont des gens qui souffrent en silence ou en tout cas ils ont souffert en silence et sont restés très dignes, ils sont très chaleureux. A un moment dans un bar, mon ami m’a appelé Tito et tout le monde s’est retourné. Cela m’a permis de me rendre compte que pour les Bosniaques c’était un homme extraordinaire, qui leur a permit de vivre en paix durant des années. Une dame, la patronne, m’a demandé si elle pouvait m’embrasser ! Après, j’ai été guidé par des habitants de Sarajevo qui ont tout fait pour m’aider. Comme ils comprenaient le but de mon histoire, une Bosniaque ayant souffert de la guerre, ils voulaient me faire rencontrer beaucoup d’Ivana ! Tout cela a rendu mon album très crédible. Quand je suis revenu à Paris pour travailler sur mes planches, j’ai reconstruit mon histoire pour l’accorder aux vibrations que j’avais reçues sur place.

choix

Il est temps que les criminels de guerre yougoslaves soient jugés car en 2012, cette année, le tribunal de La Haye va arrêter ses activités. Je ressens beaucoup de similitudes entre Sarajevo et Tolède, ma ville natale, aussi à cause de la guerre civile qui a aussi dévasté mon pays natal.

La guerre civile me replonge dans les histoires que mes grands-parents me racontaient à propos de la guerre d’Espagne, où votre meilleur ami pouvait vous trahir ou même un parent, pour une simple divergence d’opinion. Les guerres civiles sont doublement atroces, les ennemis ne sont pas des étrangers venus d’un autre pays mais des proches...

Le choix d’Ivana est une histoire très ordinaire. Oui, il y a une fin ouverte, très humaine. Les personnages sont des écorchés qui se croisent. Quand Ivana est en France à la recherche de sa fille et qu’elle cherche des réponses, elle croise des gens qui ont eux aussi une histoire lourde. Je ne montre pas quelque chose de spectaculaire. J’aime bien les fêlures, les gens qui essayent de se redresser malgré tout. C’est une histoire quotidienne, il n’y a pas de coups d’éclats. Ivana ne veut déranger personne, elle est dans la pudeur. Ivana va chercher sa fille de maison en maison ! Elle bascule presque dans la folie car elle est dans l’impossibilité de trouver une réponse. Déjà après son premier échec en Italie, elle se retrouve sans argent pour financer ses projets, elle pourrait rentrer chez elle, mais là elle se dit qu’elle ne peut plus reculer. Peut-être que si elle n’avait pas trouvé de réponse elle serait restée SDF. Mais Ivana se reconstruit parce qu’elle est forte ! C’est cette dimension-là qui m’intéressait de raconter dans cet album, plus que la guerre, l’histoire simple d’une femme…

C’est un one shot, la fin est très ouverte, un album à part… s’il y a des lecteurs qui imaginent qu’il y aura une suite, laissons les croire... En tout cas je vais suivre avec beaucoup d’intérêt les procès des criminels arrêtés, voir s’ils auront le courage de regretter leurs actes et de demander pardon. Et peut-être qu’en fonction de leurs réactions je serais tenté par une suite... J’ai tellement de bons souvenirs de Sarajevo, encore pleins d’anecdotes à raconter. Je suis très satisfait de cet album en 62 planches, moi qui ai l’habitude du format 44 planches, mais à présent il faut que je souffle un peu. C’est quelque chose que j’avais besoin de faire et je ne regrette rien !

(Propos recueillis par Shesivan chez Casterman. Les questions ont été éludées, il n'était pas opportun de les énoncer)

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