Van Helsing contre Jack l'éventreur - chronique et interview de Jacques Lamontagne

 

van helsingDepuis qu’il est revenu se réfugier à Londres, le docteur Abraham Van Helsing n’est plus le même, son long combat contre le comte Dracula a laissé des séquelles et il n’arrive plus à trouver la paix intérieure et le sommeil. Mais hors des murs où s’est réfugié le docteur sévit une créature effrayante… Jack l’éventreur terrorise les rues mal famées de Whitechapel et sème des cadavres démembrés derrière lui. Il nargue Scotland Yard. A bout de ressources, l’inspecteur responsable du dossier vient supplier le docteur de lui prêter assistance. Il ne se doute pas que Van Helsing va replonger en plein cauchemar…

 

L’existence d’Abraham Van Helsing s’étale déjà sur trois siècles. Créé par Bram Stoker à la fin du 19 ème siècle pour aller au pieu avec Dracula, ce hollandais, spécialiste des maladies mentales, est un rouquin costaud de taille moyenne aux sourcils broussailleux.
Au XXème c’est surtout le cinéma qui s’en empare, d’abord sous les traits de Edward Van Sloan contre Bela Lugosi, puis de Peter Cushing, qui oppose avec vivacité sa silhouette malingre et son nez en bec d’aigle au gigantesque et élégant Christopher Lee. Dracula a perdu l’accent local mais a gagné en sex-appeal… Mais cela finit toujours aussi mal pour lui ! Passons le millénaire et faisons l’impasse sur la créature, hybride entre Lara Croft et the Shadow, créée pour le film de Stephen Sommers, aventurier zigouilleur de
monstres en tous genres à grands renforts d’effets spéciaux (fermé les dimanches et jours fériés). Concentrons-nous plutôt sur
le Abraham Van Helsing (anagramme de english, rien à voir avec l’espion du même nom, heureusement) de Jacques Lamontagne. Devenu pour l’occasion scénariste, l’auteur canadien lui prête les traits déjà familiers de Dupin, ce détective inspiré par les récits d’Edgar Poe qui dirige l’agence Aspic dont Gloris et Lamontagne assurent les exploits. La cinquantaine, bien bâti, barbe élégante et caractère de cochon. Mais celui-ci est loin d’avoir la vivacité de ses prédécesseurs, son combat – qu’on devine avoir été long et épuisant - contre le comte Dracula a eu raison de sa santé, aussi bien mentale de physique et il vit en reclus dans sa demeure londonienne, accro à la solution à sept pourcent si chère à un de ses voisins, Sherlock Holmes. Lancé malgré lui sur les traces de Jack l’éventreur il ne mettra pas longtemps à se rendre compte que ce dernier à quelque chose de familier avec le vampire qu’il a chassé. De là à penser qu’il s’agit d’une seule et même personne, ce serait sans doute sous-estimer Jacques Lamontagne… on devine qu’il s’est fait plaisir en mettant ce récit en scène, qu’il est fan des films d’horreur de la Hammer, du fantastique en général, lui qui a publié des Comtes d’outre-tombe. Pour ce faire, il est épaulé par le jeune dessinateur serbe Sinisa Radovic, auteur de la trilogie La fille de Yukon chez Dupuis, un dessin efficace. Ce premier tome est une habile mise en bouche afin de nous préparer à découvrir ce qui se cache vraiment derrière cet éventreur. Et moquons-nous des anachronismes - annoncés par l’éditeur ! - puisque le Ripper sévit dans Whitechapel quelques années avant que Dracula ne soit publié par Stoker. Malgré l’avertissement de l’éditeur, Lamontagne paraît être familier de ce genre d’écart puisque son Dupin a aussi fait un bond dans le temps. Quel immense pouvoir que celui de l’imagination !

Van Helsing contre Jack l'éventreur - tome 1 - Tu as vu le diable.

Scénario : Jacques Lamontagne - Dessin : Sinasa Radovic (Soleil / collection 1800)

 

Le scénariste-dessinateur canadien s'exprime à propos de son oeuvre :

D’après certaines sources ce serait Istin, le directeur de collection qui t’aurais proposé d’écrire une histoire mettant en scène Van Helsing et Jack l’éventreur ?

Tes sources sont exactes. Cela remonte à quelques années déjà, Jean-Luc m'avait demandé si j'aimerais écrire quelque chose pour sa collection 1800. Il avait une thématique en tête qu'il désirait développer... La rencontre peu probable entre Abraham Van Helsing et le plus célèbre des criminels, Jack l'Éventreur. Il s'agissait d'un petit écart avec ce qui avait été proposé jusqu'à maintenant dans la collection, car les autres titres étaient plutôt construits sur des confrontations entre personnages issus de la littérature populaire de la fin du 19e.

Pourquoi cela t’a-t-il tenté ?

Je fus immédiatement intéressé par le projet, car les deux personnages ont toujours suscité chez moi de la fascination, chacun pour des raisons bien différentes. J'adore la fin du 19e, c'est une formidable époque. C'est le moment où le modernisme et l'industrialisation font leur entrée, se frottant aux croyances populaires, aux légendes et peurs encore profondément ancrées dans l'imaginaire des gens.

J’imagine que cela a dû te tenter à cause du climat genre film de la Hammer années 60 ?

Il est certain que parmi mes premières références en la matière, les films de la Hammer figurent dans le top 10.
Petit, j'adorais les réalisations de cette maison de production anglaise. Le Londres victorien se prêtait à merveille pour construire une histoire avec des ambiances à la Hammer. On pense immédiatement au lourd brouillard flottant dans les rues de l'East End, mais j'ai préféré mettre la pédale douce avec la machine à faire de la brume, choisissant plutôt d'appuyer l'atmosphère lourde avec la pauvreté omniprésente et les sombres recoins que renferment le secteur où sévissait l'assassin.

Tu évoques une trame "policier classique" alors que le sujet prête volontiers à des débordements fantastiques et que la BD paraît dans une série (1800) dédiée au gothique ?

En fait, j'ai voulu éviter le piège trop facile de servir aux lecteurs la sempiternelle histoire d'un tueur qui s'avère finalement être un vampire. La présence seule de Van Helsing ouvrait trop facilement la porte vers ce raccourci. Je ne pouvais toutefois pas complètement évacuer l'aspect fantastique car Van Helsing est indissociable à la dimension fantastique, il m'aurait été impossible de ne pas en tenir compte. C'est pourquoi on effleure cet aspect du personnage au travers de flashbacks qui nous ramènent aux derniers jours passés en Transylvanie. Mais les bases de mon récit sont définitivement construites sur une structure classique de polar historique. Le tome 2 réserve de grandes surprises aux lecteurs.

Que préfères-tu ? Scénariser ou dessiner ? A quand une BD en solo ?

Je suis déchiré entre le dessin et l'écriture. Tous deux me procurent énormément de satisfaction. Mes rituels de travail pour l'un et l'autre sont totalement différents. Je préfère écrire les weekend et le soir, alors que le jour est privilégié pour le dessin. Projet solo? J'en ai bien un en tête, mais comme j'ai deux séries au dessin qui fonctionnent bien, je ne suis pas encore prêt à les mettre de côté pour me concentrer sur un projet pour lequel je porterais les deux casquettes.

Comment vont les autres projets ? Druides marche bien ? Et Aspic ?

Comme je disais précédemment, les deux projets fonctionnent très bien, et ce, malgré la crise qui sévit. Les Druides a eu la chance de paraître à une époque où le marché de la BD était en pleine forme. La série est bien installée et compte un lectorat fidèle. Quant à Aspic, le premier tome est paru au pire de la crise. La série a toutefois a su se tailler un petit coin au soleil, en dépit de la
morosité du marché. Je viens tout juste me commencer le tome 3 d'Aspic qui est prévu pour 2013.

Comment es-tu perçu dans ton pays par rapport à la France/Belgique en tant que Bédéiste ? Est-ce que tes compatriotes ne sont pas plus attiré par les comics américains, plus proches ?

Les Québécois sont en effet partagé entre le comics et la BD francobelge. Plus on se rapproche des centres presque unilingue français, comme c'est le cas dans la ville de Québec, et plus les lecteurs s'intéresseront à la BD européenne. Je suis perçu chez moi par certaines personnes comme quelqu'un qui fait un formidable métier, chez d'autres, comme une espèce d'extra terrestre. Gagner sa vie en faisant de la BD au Québec est considéré comme un travail marginal... "C'est pas normal à son âge de gagner sa vie en faisant des petits
bonzhommes" vous dira Madame Tremblay.

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