- Shesivan
- Interviews Ecrites
HAUTIERE-HARDOC ET LA GUERRE DES LULUS
Quand Régis Hautière et Hardoc parlent de leur Guerre des Lulus, on sent qu’ils se sont vraiment impliqués à cent pour cent dans ce projet. C’est la première fois qu’il y a une œuvre sur la Grande Guerre sans qu’on soit obligé d’affronter visuellement les tranchées, les gaz moutarde, la boue, ses soldats englués dans un conflit qui dure. Voici 14-18 vu par les yeux d’enfants qui, si ils ne participent pas au conflit, en ressentent les effets et en seront marqués à jamais. Une BD pour tous les âges, aussi une BD pour ne pas oublier. La guerre c’est atroce et elle était juste à nos portes…
Quand Régis (Hautière) a proposé cet album destiné à la jeunesse à un dessinateur, celui-ci s’est aussitôt rétracté car sa vision de 14-18, c’était les tranchées, les gueules cassées, l’horreur… Moi (Hardoc) je voulais faire un projet avec des enfants… Les jeux d’enfants ne sont pas vraiment des jeux, ils reproduisent ce que font les adultes.
La trame de la Guerre des Lulus me plaisait beaucoup à cause, primo, des enfants : Régis et moi nous nous sommes vraiment amusés. Dés les premières planches je me suis amusé et à chaque page de dialogue que je recevais, je m’esclaffais seul car je trouvais cela émouvant par rapport au contexte. Nous avons aimés nos personnages, lui les faisait vivre avec les dialogues tandis que moi je les mettais en images, on se complétait. On avait parfois l’impression qu’ils existaient. Et plus la saga continue, plus on prend du plaisir et on s’investit !
Secundo, à cause des décors qui m’étaient familiers et de mon passé familial : Ce sont des lieux réels que j’ai reproduit, mon village natal où j’ai ma maison. Je n’ai pas eu à chercher trop loin. Mon village a été quasiment rasé pendant la guerre. Chaque village de la Somme a été ravagé par ce conflit, a beaucoup souffert au niveau architectural. J’ai repris tous ces éléments, l’église, le café du village à côté duquel était ma ferme familiale reconstruite avec les dommages de guerre.
Historiquement c’est grâce à une amie, Marie Luce Céva, qui s’occupe de l’ Historial de la Grande Guerre à Péronne que la Guerre des Lulus a vu le jour. Elle se plaignait qu’il n’y avait pas de BD pour les enfants pour expliquer ce conflit.
Au début était prévu un bouquin jeunesse, un one shot, mais l’éditeur intéressé par le concept a demandé un quatre tomes. Nous l’avons adapté, c’est devenu une histoire tout public, autre chose qu’une histoire sur le front.
Nous avons d’abord fait une petite histoire en 4 pages en participant à un collectif intitulé Cicatrices de guerre, une réunion de dessinateurs de Picardie. Nous nous en sommes servis pour tester graphiquement et tester au niveau des dialogues, faire parler des enfants. L’histoire était simple et courte : 4 enfants jouent à la guerre et la dernière image représente un soldat mort.
Finalement, il y aura un tome par année de guerre, du potentiel pour voir évoluer ces gamins. Au départ le projet du one-shot était sur une période de 6 mois mais puisqu’il y est passé à quatre ans, ils vont grandir ! Ils ont des âges différents, un a 11 ans, il passera de l’enfance à l’adolescence tandis que le plus âgé (15 ans) deviendra un jeune adulte.
Même si le front est à 100 km les lulus vont faire des rencontres, avoir des cicatrices de cette guerre qui va les faire grandir plus vite que s’ils étaient restés dans leur cocon de départ. Ces enfants vont évoluer mentalement et physiquement par rapport à la guerre proche et leur relation entre eux et l’élément féminin apporté par Luce qui au départ est une petite copine. Sa féminité va s’affirmer et ses rapports avec les garçons évoluer. Les enfants vont être très marqués par la guerre. Nous allons rester dans ce ton léger mais des éléments sombres vont apparaître pour évoluer vers la tragi-comédie.
La confrontation avec le conflit sera toujours de façon indirecte, à cause des rencontres : des civils, un aviateur, des soldats allemands. Dans le tome trois, ils vont être contraint de quitter leur refuge, le petit bois près du village à cause d’une menace qui plane sur cette région.
Nous espérons toucher beaucoup d’enfants à travers des yeux d’enfant. Régis a trouvé le ton juste, ces dialogues d’enfants. Pour cela, il s’est rappelé beaucoup de son histoire familiale. Parfois ils sont exagérés graphiquement, c’est caricatural mais on se fait du bien avec cette histoire et à nos propres enfants en espérant qu’ils vont les lire avec des étoiles dans les yeux.
Dans ce premier tome nous présentons les personnages. Ils devinent, comprennent les choses petit à petit, mais au début ils sont insouciants, ils se chamaillent parce qu’ils ne distinguent pas les coups de canon de l’orage. On ne sent pas trop la guerre, mais le ton va se durcir progressivement. Ils vont grandir, apprendre à savoir ce qui se passe autour d’eux, ce qu’est une guerre mais comme tous les adultes sont sur le front, ils vont devoir apprendre à survivre, ils seront livrés à eux-mêmes, un peu comme dans la série Seuls mais pas en fantastique.
La toile de fond est la même : la survie.
Quand nous avons mis la série sur pied, nous ne pensions pas au centenaire de la guerre 14-18. C’est vrai que ces dernières années il y a pas mal de BD sur cette guerre. Il y a ce côté ne pas oublier, car beaucoup de témoins ont disparu. On ne peut pas se la représenter, cette guerre, mais on sait que cela a été atroce. En tant qu’auteurs nous sommes là, intermédiaires entre les disparus et les vivants, pour perpétuer la mémoire autrement que dans des bouquins, en apportant des images aux enfants.
Depuis que nous travaillons sur le projet, notre vision de la guerre 14-18 a changée. C’était il y à peine une centaine d’année et pourtant cela nous paraît des siècles : tous ces métiers oubliés, ces routes boueuses, pas d’électricité et des conditions de vie parfois limite. Et puis cette nouvelle forme de guerre. Cela a dû être la panique pour ces civils !
A la vision de tout cela, on ne reste pas indemne en tant qu’être humain et quand on découvre des documents on prend sur soi. Nous avons écumé les musées, parlé avec des passionnés de guerre, parlé avec des collectionneurs, des auteurs. Rien ne remplace un livre au niveau du texte et des images. Sur Internet il n’y que des images du front et toujours les mêmes. Surtout des photos de propagande, très peu sur les civils…