SOUVENIRS DU STYLE ATOME AVEC ALEXANDRE CLERISSE

Achtung chef-d’œuvre ! 2013 à peine entamée que déjà la BD de l’année est parue. Son emballage est magnifique, son contenu volumineux, l’histoire - compliquée mais d’une grande lisibilité - est palpitante et les images sont splendides ! Souvenirs de l’Empire de l‘Atome nous renvoit à cette époque où l’homme moderne croyait encore en son futur. Il venait de terminer une guerre et avait envie de vivre d’espoir. L’Expo 58 de Bruxelles allait être la vitrine de demain. Les étoiles étaient à portée de main, à portée de conquête… Le titre fait aussi référence à l’âge d’or de la science-fiction, des Asimov, Clarke, Heinlein, Van Vogt qui régnaient sur un genre relayé par des pulps aux couvertures criardes et avenantes, au style approchant souvent l’art déco. Tout ceux qui sont convaincus que des Jijé, Franquin et Will ont fait évoluer le genre BD et l’ont porté à son apogée, seront convaincus par cet imposant ouvrage, aux références tellement multiples et surprenantes qu’on dirait un jeu de piste ! Thierry Smolderen parvient à accrocher malgré une histoire alambiquée qui nous entraîne dans des futurs lointains pour rebondir à coups de flash back, mais le scénariste est assez virtuose pour en maintenir le suspens et la cohésion. Quant au graphisme d’Alexandre Clérisse, il rend hommage au triumvirat cité plus haut mâtiné du célèbre affichiste Savignac, créant une reconstitution parfaite du graphisme des fifties, du design typique style atome qui n’en finit pas de renaître pour notre plus grand plaisir visuel.

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La parole à Alexandre Clérisse, français, dessinateur, 32 ans et du talent à ne pas savoir qu'en faire :

Thierry Smolderen, ayant été mon professeur à l'ESI d'Angoulême, m'avait mis le pied à l'étrier pour "Jazz Club", via le site "coconino-world" auquel il collaborait à l'époque. Il avait cette histoire en tête depuis longtemps, et nous en parlions depuis au moins 3-4 ans. Réalisant déjà des séries, il souhaitait vraiment créer un livre unique avec un univers graphique moins réaliste. Il y a dans cette histoire pas mal d'allusions personnelles à son enfance, ce qui lui tenait beaucoup à coeur. Le projet a plu à Dargaud d'emblée, même si l'histoire était difficilement résumable, ils connaissaient assez nos deux univers pour nous faire confiance et nous laisser carte blanche. L'idée de faire un objet unique, (couverture, mise en page, format...) s'est imposée dès le début. Le travail a été très laborieux puisque j'ai commencé les premières recherches en octobre 2010... L’histoire est basée sur deux faits réels ! Tout d'abord il y a "le divan à réaction", un article paru dans un Harpper magazine des années 50. Ecrit par un psychanalyste relatant le cas clinique réel d'un de ses patients : Kirk Allen, un bureaucrate travaillant pour le pentagone, qui disait être en contact télépathique avec un homme du futur. Cet article est devenu célèbre car le docteur a fini par se demander sérieusement s'il ne croyait à l'univers précis que lui décrivait son patient. Bien des années plus tard, sur des forums de discutions, certains fans de SF ont commencé à émettre l'hypothèse que ce patient aurait pu être Cordwainer Smith... En effet, leur biographie se recoupent étrangement : enfance passé en Chine, père diplomate, travaillant pour le pentagone... Thierry est donc parti de là. Cordwainer Smith, l'écrivain de la fresque "les Seigneurs de l'instrumentalité", raconte à travers ses livres l'évolution de l'homme dans le futur jusqu'à ce qu'il devienne pur et immortel. Teinté d'étrangeté, de kitch, et de métaphysique, son oeuvre est passionnante et originale. On peut retrouver nombre de ses idées dans les grands succès de la SF qui ont suivis. Etant assez méconnu, c'était l'occasion, dans notre récit, d'évoquer son univers et de donner envie de se plonger dans ses histoires.
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Vous vous trouvez face à un hommage appuyé aux années 50, à des maîtres comme Will, Franquin, Tillieux… est-ce qu’on se sent de taille, est-ce qu’on n’hésite pas avant de prendre son crayon ? Si, justement, j'ai longtemps tourné autour du pot. Mais la bd franco-belge style atome n’était qu’une infime partie de la somme de référence que j'ai essayé de digérer. Il y avait les illustrateurs américains de cette époque, les cinéastes et photographes, designer textiles, architectes... Le but n'étant pas de tenter de les égaler, ni de faire du pastiche, mais de comprendre ce qui les unissait vraiment, l'esprit de l'époque. Cette idée de la modernité qui se trouve autant dans l'infiniment grand que dans l'infiniment petit. Esprit encore très vivant aujourd'hui, on le retrouve dans la déco, les séries, etc. C'était un grand défi, mais Thierry m'a beaucoup orienté, dirigé. Il m'a poussé vers des directions graphiques que je n'osais pas aborder. Le plus difficile dans tout cela était de ne pas me perdre et de garder mon univers personnel. Scénaristiquement, Thierry vous en parlerait mieux que moi, il y a aussi cette même idée de "shaker". Mélanger des histoires et des personnages venus d'horizons divers. Mais l'idée principale est que l'inventivité et l'imagination des "visionnaires du futur" nourrissent le quotidien. L'histoire de la SF est à l'image des préoccupations d'une époque, tantôt merveilleuse et prometteuse, tantôt dramatique et chaotique.

Pour « L’Empire » votre style graphique est différent de vos autres ouvrages… c’est venu naturellement ? Oui et non, j'étais déjà influencé par cette esthétique rétro mais ce coup-ci je me suis plongé dans ceux qui sont à l'origine de cette vague, comme Charley Happer par exemple. J'utilise toujours l'ordinateur, avec le logiciel Illustrator, sauf que j'ajoute un peu de trait noir et quelques effets réalisés en lavis et au crayon, ce qui donne un aspect plus pictural. Je connaissais un peu cette SF des années 50, l’expo 58, mais j'ai vraiment découvert tout ça avec toute la documentation que Thierry m'a apporté, des livres et des magazines mais aussi une pléiade de films. C'est très riche et pas tellement développé au final.

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