EVE SUR LA BALANCOIRE - ENTRETIEN AVEC NATHALIE FERLUT

Eve sur la balançoire ou conte cruel de Manhattan de Nathalie Ferlut est un biopic, un fait divers qui a secoué l’Amérique du début du siècle, une jeune beauté dont la mère (maquerelle) a vendu les courbes, la première pin up qui n’est pas resté papillon très longtemps, à peine quelques années et qui a vécu le restant de son existence dans l’ombre d’elle-même. Faut-il pour cela l’en blâmer ? Non, car elle n’est aucunement responsable de ce qui lui est arrivé. Son début de vie a été partagé entre trois hommes, sans doute pas les plus fréquentables : un riche aussi oisif qu’irresponsable, un vieux pédophile et un journaliste débutant qui plus tard deviendra un acteur célèbre et qui, quitte à choisir le moins pire des trois, aurait pu la tirer du bourbier dans lequel elle sa mère l’enfonçait inexorablement, s’arrangeant bien pour lui maintenir la tête sous l’eau. Elle finira par disparaître avec les « économies » rassemblées sur le compte de sa fille…
Nathalie Ferlut s’en tire avec tous les honneurs et cet ouvrage se laisse lire sans interruption et laisse un arrière-goût amer tant l’aplomb des personnages masculins tout comme la mère (maquerelle), est sordide, une exploitation sans vergogne, le tout raconté dans un récit très coloré qui sonne comme le conte de fée moderne que c’est, un conte bien cruel d’une modernité inattendue. La téléréalité au début du vingtième siècle.

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J’ai commencé par faire du scénario, de la science-fiction, avec Yoann et puis j’ai dessiné moi-même, du dessin animalier pour les petits, avec beaucoup d’admiration pour Wasterlain et puis j’ai décidé de tout faire moi-même. Pour le genre d’histoire que je voulais raconter c’était préférable que je fasse tout tout seul, un travail d’auteur pour être en phase avec mes personnages...

« Eve sur la balançoire » est un biopic raconté sous la forme d’un conte. J’ai trouvé le sujet par hasard, en faisant des recherches sur internet, je recherchais des photos d’un personnage dont je voulais écrire l’histoire : une femme qui a assassiner son père et je n’arrêtais pas de tomber sur des photos d’Evelyn Nesbit ! Je n’avais jamais entendu son nom et sur une des premières photos sur laquelle je suis tombée, elle avait l’air d’une jeune fille de maintenant. J’ai alors découvert son histoire, un fait-divers plutôt sordide ! Ce qui m’intéressait c’était que son histoire est intemporelle, on dirait un personnage de téléréalité. Nesbit devient très vite une icône, à l’âge de 16 ans, et ce qui a suivit me faisait penser à ces jeunes filles qui deviennent célèbres à la télévision et dont la descente est très longue. Son histoire se termine à 22 ans et elle continue à vivre avec le fantôme qu’elle était jusqu’à la fin, sa mort 50 ans plus tard.

Je voulais en faire un conte de fée un peu perverti, ne parler que de sa période brillante. Plus tard, lorsqu’elle s’est retrouvée seule et abandonnée, elle a fait plusieurs tentatives de suicide, elle a eu des problèmes de drogues. Elle a écrit trois fois son autobiographie, trois versions différentes ! Dans la première elle se fait passer pour une victime romantique qui trouve un tas d’excuses à sa mère, mais au fur et à mesure qu’elle vieillit, elle prend plus de distance avec cela. Elle a payé pour ses fautes, quoiqu’en 2013 on ne voit pas vraiment la faute qu’elle a faite, c’est surtout une oie blanche.

Elle a été la victime consentante bien malgré elle de trois hommes :
Le premier, son mari est un personnage très dangereux, d’ailleurs mon éditrice a choisit une photo où il a l’air normal mais je me suis plutôt fiée à la description qu’Evelyn en donnait, un personnage grimaçant. Aux USA il est connu comme étant l’inventeur du « speedball », mélange d’héroïne et de cocaïne. A partir du moment où il avait une maman pour couvrir ses horreurs il n’y avait pas de problème, c’était le cliché du garçon gâté. Il s’est fait renvoyer de l’université parce qu’il avait tiré sur un cocher avec une arme à feu, il avait fouetté un élève et était camé en permanence. Il passa une dizaine d’année dans un asile d’aliénés, un asile de luxe réservé aux gens fortunés. En réalité, il était homosexuel, il avait une obsession pour les jeunes hommes et avait plus d’une fois coincé des grooms d’hôtel !
Evelyn avait un côté protecteur envers lui, malgré le monstre qu’il était…

Le deuxième, monsieur White, était un personnage important pour son époque, au moment où l’Amérique bâtit sa fortune internationale et qu’elle décide de se doter d’une architecture qui démontre cela, une architecture monumentale. Il a bâti le Madison square Garden, dans un style très hispanisant.

La mère (maquerelle) d’Evelyn avait fait un marché avec White, il entretenait la jeune fille et en échange de ses faveurs, payait l’éduction de son petit frère. Celui-là, je ne savais trop qu’en faire, donc on ne le voit pas du tout dans le bouquin, il est insignifiant, à raté ses études et mit fin à ses jours à l’âge de 25 ans.

Le troisième personnage est John Barrymore. C’était important d’en parler, c’est la jolie histoire d’amour ratée, un personnage spécial et l’occasion de présenter quelque chose de plus lumineux, de moins sordide, le moment de l’amour de jeune fille. Malheureusement, après qu’elle l’eut repoussé, ils ne se sont jamais revus, Barrymore est devenu célèbre au cinéma comme au théâtre et a eut une vie très fantasque. C’est une famille d’acteurs très connue aux USA, Drew en d’ailleurs la dernière représentante et assez curieusement malgré les années qui les séparent, elle est la petite-fille de John Barrymore.
Barrymore était très beau, il voulait faire carrière dans le journalisme mais rien n’a vraiment marché, alors il a joué sur son physique et en a profité pour devenir acteur de cinéma. Il a tourné beaucoup de navets mais était excellent sur les planches de théâtre.

Les hommes ont l’avantage de pouvoir vieillir de plus de 30 ans, pas les femmes…

Au contraire, quand une femme est belle on ne l’écoute pas…

J’ai travaillé deux ans dessus ce projet, c’est le travail de recherche qui a été le plus long, il a fallut s’imprégner de l’époque, de l’endroit, il fallait faire beaucoup de décors « américains » d’époque alors que je préfère faire les personnages.

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