Octobre 1934. Assise sur un banc, noyée dans un immense couloir du Palais de justice de Paris, Violette Nozière, 19 ans, toute de noir vêtue, a les yeux perdus dans le vide. Elle attend que son procès reprenne et songe à ce qui l’a conduit ici. Celle que l’on surnomme alors « l’empoisonneuse de la rue de Madagascar » ou la « parricide monstrueuse » laisse ses pensées remonter le temps…
Issue d’un milieu populaire, Violette rêvait d’une autre existence. Mais, rétive au travail comme aux études, elle préférera la vie facile. Prostitution, fêtes, mais aussi mensonges à répétition, manipulation et vol de ses propres parents, jusqu’au point de non-retour : elle finit par les empoisonner. (texte Casterman)
Surfant sur la vague/mode des BD à propos de femmes célèbres, que ce soit des militantes, des criminelles ou des aventurières (dans le sens noble du terme), des artistes, Violette Nozière propose une vision de celle qui défraya la chronique dans les années 30, fait divers scandaleux, procès retentissant… La nouvelle venue dans le métier, Camille Benyamina et le journaliste Eddy Simon reviennent sur le parcours de cette fille volage en traçant un portrait entre mystère et poésie, entre envoutement et ensorcellement, sans la juger… Le récit est prolongé par un dossier de 8 pages illustré de photos d’archives.
Eddy Simon, en tant que journaliste, en quoi l’affaire Nozière vous tentait plus que les autres pour en faire une BD ?
Eddy Simon : Violette Nozière est une affaire sur laquelle, j'ai écrit pour un livre consacré aux Grandes affaires criminelles. En redécouvrant le parcours de cette jeune femme, il m'a semblé que tout n'était pas dit, que son histoire offrait de nombreuses interprétations et surtout que toute cette affaire est terriblement actuelle : une jeune fille rêve d'une vie de princesse et d'un prince charmant en pouvant consommer et s'acheter de beaux vêtements, sortir dans des lieux chics.
Sur un aspect psychologique, Violette est toujours décrite comme un monstre, ce qui pour moi, n'est pas le cas. Elle est aussi la victime d'un entourage qui finalement se préoccupe peu d'elle en la laissant consciemment et inconsciemment s'enfoncer dans ses mensonges.
Camille : comment vous êtes-vous laissé tenter ?
Camille Benyamina : Ce n’était pas difficile : le Paris des années 30, l’histoire de cette jeune fille complexe et mystérieuse, j’ai tout de suite été séduite par cette histoire.
Vous avez choisi un dessin sensuel, même la couverture du livre est sensuelle au toucher, c’est voulu ?
CB : Bien sûr, Violette devait être séduisante, et pour cela, j’ai voulu lui donner des traits doux et des courbes sensuelles … L’aspect de la couverture c’était une très belle surprise de la part de Casterman, ce sont eux qui ont eu cette idée et elle s’est avérée excellente et en parfaite adéquation avec le personnage de Violette.
Vous avez choisi de rester neutre, de narrer l’existence et les faits de Violette sans la juger ?
CB : Tout à fait, mais malgré tout, je ne peux pas m’empêcher d’avoir de l’affection envers ce personnage que j’ai travaillé pendant plus de deux ans, j’ai inventé ses expressions de visage, ses gestes, il y a forcément un attachement qui se créé !
ES : Nous ne sommes pas là pour juger à nouveau Violette Nozière. Cela a déjà été fait par les juges et l'opinion française de l'époque. Nous, nous voulions suivre le personnage au plus proche afin de raconter comment cette jeune fille s'enferme dans son propre piège et n'aura d'autre issue que d'aller au bout de ce qu'elle a mis en place. Nous laissons au lecteur, la possibilité de se faire sa propre réflexion sur Violette mais également sur sa famille, ses amis, ses amants. A lui de trancher !
Ce portrait est-il imaginaire, avez-vous laissé courir votre imagination, ou avez-vous trouvé des renseignements, des documents à ce sujet ?
CB : Le portrait est l’interprétation que nous faisons par rapport aux faits réels. Eddy a fait un gros travail de recherche et s’est penché sur un aspect plus psychologique et plus intimiste de Violette.
ES : tout est basé sur des faits réels. Nous donnons notre interprétation sur le comportement de Violette. Pour nous, lorsqu'elle se trouve au contact des autres, elle se comporte comme sur une scène de théâtre, joue un rôle en exagérant son personnage de femme du monde. Violette se cache derrière ses masques.
Au vu des photos de Nozière, vous l’avez faite plus jolie qu’elle ne l’était en réalité ?
CB : Je souhaitais m’approprier le personnage, et je ne voulais pas être coincée avec un dessin fidèle aux photos d’archive. Tout comme Eddy avec le scénario, je voulais créer le personnage comme je l’imaginais, tout en conservant des détails indispensables tels que le manteau noir col fourrure, son chapeau, son allure générale, et respecter bien sûr les codes vestimentaires de l’époque.
A votre avis, comment a-t-elle pu conquérir ses hommes, elle n’était pas plus belle que les autres, avait-elle selon vous du sex appeal ?
CB : Je pense que, comme nous le montrons dans notre album, Violette devait être très charismatique. Si elle a séduit autant d’homme et attendri ses parents au point qu’ils ne lui ont jamais imposé de règle, et si, comme nous le constatons sur les photos, elle n’était pas la plus jolie des femmes (néanmoins il existe des photos d’elle beaucoup plus charmante que dans le procès dans lequel elle apparaît fatiguée et accablée par ce qui lui arrive), c’est qu’elle devait avoir une grande personnalité et une faculté à séduire étonnante.
ES : Violette est une séductrice charismatique prête à tout pour exister dans le regard de l'autre. En cela, elle est un personnage étonnant. De plus, nous sommes en 1933 et elle montre un réel désir de liberté, d'émancipation qui devait détonner dans la mentalité de l'époque.
Les éditeurs semblent avoir trouvé un créneau en abordant les portraits de femmes. Un moyen d’approcher le lectorat féminin ?
Eddy répondra mieux que moi à ces dernières questions, mais pour ma part je pense que les portraits de femme sont tout aussi intéressants que les figures masculines, et le fait d’être un binôme mixte apporte un plus à cette démarche.
ES : sans doute mais ce phénomène éditorial vient aussi du fait qu'il y a de plus en plus de dessinatrices qui apparaissent dans le milieu de la BD qui jusque-là était très masculin. Alors évidemment apparaissent aussi, des envies, des histoires, des personnages différents avec une autre sensibilité. Après des années de héros masculins, il est temps de voir apparaître des héroïnes féminines. Le champ des possibles est vaste !
La plupart du temps en incluant une femme au scénario ou au dessin. Considérez-vous avoir apporté votre pierre à l’édifice et si prochain il y a ensemble, est-ce que ce sera aussi un portrait de femme ?
ES : oui, Camille et moi sommes complémentaires. J'apporte ma vision d'homme et elle sa vision de femme. De ce fait, cela crée un équilibre parfait qui permet de s'adresser à tous. C'est également très intéressant au niveau de la collaboration. Nos visions sont différentes comme notre inspiration mais finissent par se rejoindre dans une œuvre commune.
Notre prochain album, toujours chez Casterman, aura aussi comme personnage principal une jeune fille. Ce sera un récit romantico-policier se déroulant à Paris en 2014 adapté d'un roman de Malika Ferdjoukh qui s'intitule « Chaque soir à 11 heures ». Parution courant 2015 !
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