Série: Aspic # 1
Auteurs: Lamontagne / Gloris
Editeur BD: Soleil
Une chronique BD:
Génération BD
© Soleil
L'histoire de la bande dessinée "Aspic # 1":
Paris. la Belle Epoque. Tandis que le détective et phénoménologue Auguste Dupin enquête avec la police sur l’étrange cas de la disparition de la voyante médium Kathy Wuthering, son assistante, la délurée Flora Vernet, entreprend d’aider Hugo Beyle, agressé alors qu’il sortait d’un lupanar et délesté de sa montre de gousset.
Mais rien ni personne n’est ce qu’il semble vraiment être ; le cadavre de Kathy Wuthering n’est pas son cadavre, Beyle n’est pas vraiment humain et Mademoiselle Vernet triche sur son statut… N’empêche, futée comme elle est, la piste qu’elle a suivie recroise celle de Dupin…
L’avis de Shesivan :
Le prix Edgar Allan Poe, aussi appelé « Edgar », est décerné par l’organisation Mystery Writers of America, récompensant tout ce qui touche au polar ou policier, que ce soit le roman, le théatre, la télé, le cinéma…
Pourquoi le prix E.A.Poe ? Parce que c’est ce poète maudit américain qui a créé le chevalier Auguste Dupin, le temps de trois énigmes : "Double assassinat dans la rue Morgue" (1841) " Le Mystère de Marie Roget " (1842-1843) et « La Lettre volée » (1844). Ces nouvelles seront à la base du roman policier moderne. Dans le Paris mouvementé de la Monarchie de Juillet (1830/1848), un enquêteur privé, le chevalier Auguste Dupin, résout de redoutables énigmes judiciaires grâce à ses facultés d'observation et d'analyse…
Il préfigure ainsi le plus célèbre de tous : Sherlock Holmes, ainsi qu’une flopée d’autres détectives et aventuriers qui emboîteront le pas au célèbre résident de Bakerstreet : Raffles, Harry Dickson, Rouletabille, Nat Pinkerton pour n’en citer que quelques uns.
Mais assez parlé de la création de Poe, dont cette année la tombe ne fut pas mystérieusement honorée par une bouteille de cognac et un bouquet de roses comme ce fut le cas pendant 60 ans…
Comment qualifier la présente création de Thierry Gloris (Codex Angélique, Waterloo 1911, Saint Germain, Souvenirs d’un elficologue) : uchronie, steampunk ou anachronie * ?
Car ce féru de littérature et d’histoire du 19ème siècle fait évoluer dans le Paris de la Belle Epoque (1900 - sans tour Eifel à l’horizon mais avec le creusement du métropolitain) des personnages de la première moitié du 19 ème siècle, que ce soit Dupin lui-même, le Vautrin et le Rastignac de Balzac, le Javert de Hugo, le Hugo Beyle de Victor ( ?) et Stendhal et rajoute même, pointe d’ironie, le Cheri Bibi de Gaston Leroux de 1920 et la très sufragette (1900) Flora Vernet ! Et comme cette joyeux sarabande temporelle ne suffisait pas, il nous balance en guise de clin d’œil un hommage à Tintin et son affaire Tournesol avec la séquence de la tête de vache dans le théatre (page 40) et un anachronique « Geronimooo ! » poussé par Flora !
Quant au dessinateur Jacques Lamontagne (Les Carnets secrets du Vatican, Yuna, Le Sang du dragon et surtout les Druides) il est en forme olympique (ça tombe bien puisque Paris organisa les jeux en 1900), son dessin presque réaliste est tout en mouvement, dynamique en diable et d’une grande minutie, que ce soit pour les décors aussi bien que pour les personnages. Son Dupin évoque George C. Scott, qui incarna le détective à l’écran, mais notre québequois avance qu’il tient plus de Noiret et d’un autre acteur français. Jean Reno ? Quant au rendu des couleurs, il est magique et reflète parfaitement l’époque avec de ci de là des teintes sepia.
Quand à l’histoire, me direz-vous ? Elle est aussi secouée que l’Histoire avec un grand H, sautillante, énigmatique à souhait, reflètant parfaitement l’ambiance de l’époque, teintée de surnaturel et de magie noire, énigme policière aussi bien que fantastique. Un récit qui aurait pu être écrit durant cette période où le surnaturel et l’ésotérique se mèlait aux aventures policières.
Des personnages principaux qui ne sont pas sans évoquer chapeau melon et bottes de cuir (pour le couple Flora/Hugo : virilité féminine et élégance masculine voire maniérisme) ou Fox et Mulder de X Files (pour l’antagonisme entre le cartésien Dupin – qui réagit à l’inverse de Sherlock Holmes qui lui croit qu’en éliminant tout ce qui est logique/rationnel, il ne reste que l’irrationnel/illogique - et son antonyme – une femme… pensez… à cette époque… - Flora Vernet)… Dommage que la suite ne soit pas publiée aussi rapidement que les feuilletons d’époque, il nous faudra attendre beaucoup plus longtemps avant de découvrir la solution de cette mystérieuse affaire…
* Moi qui pensais avoir inventé un mot… En tout cas, sa définition m’a laissé sur le Q. Anachronie ou Achronie : inadaptation à son époque, rapprocher deux objets – en historiographie - deux objets que peuvent séparer des distances spatiales, temporelles et culturelles - pour souligner leurs ressemblances, c'est commencer à créer une troisième entité, un modèle doté de ces attributs communs.
La vertu heuristique fondamentale de l'anachronie réside peut-être finalement dans sa capacité à arracher à leurs contextes spatio-temporels les deux objets ou ensembles d'objets qu'elle rapproche. Toute analogie anachronique - plus largement toute analogie - est une modélisation, ou en tout cas une amorce de modélisation.
Shesivan
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