Il fallait que je vous le dise
Dessinateur : Aude Mermilliod
Scénariste : Aude Mermilliod
Coloriste : Aude Mermilliod
Editeur: Casterman
Mon avis
Cette histoire est un bijou, de par sa finesse, la capacité à nous transmettre des sentiments et des émotions subtiles, indicibles, profondes.
Une histoire humaine, vivante, de femme, de choix, de maternité, de souffrance, de cheminement.
Une histoire technique qui présente la réalité de l’avortement telle qu’elle est. La douleur, le côté mécanique et inhumain avec le bruit de la chasse tirée côté patiente, mais également le vécu côté médecin et personnel infirmier.
C’est également une histoire d’empathie, d’entraide, de compassion et de passage.
Mais c’est aussi le cheminement des médecins, du personnel hospitalier et de leurs conditions d’intervention et d’accompagnement.
L’autrice nous raconte à travers son expérience la solitude des femmes devant ce choix et cette intervention.
Les émotions et comportements que la découverte de la grossesse provoque, ainsi que le fait de se faire avorter. La douleur diffuse omniprésente, qui ternit tout. Le besoin de se ressourcer, de faire son deuil.
L’importance du langage du corps, du ressenti, les questions existentielles sont superbement expliquées et illustrées.
L’autrice nous livre une leçon de sagesse, en nous montrant comment elle a réussi à écouter son corps et à le laisser s’exprimer.
Cela, à travers l’aide que lui a apporté sa collègue revenue d’un voyage en Amazonie ou elle a appris des techniques de soins par le massage. Elle nous montre l’importance de faire confiance, de se laisser aller et d’accepter l’aide offerte par la vie. C’est à travers ces massages qui ont duré 9 mois, le temps d’une grossesse, que l’autrice a pu réaliser son processus de deuil. Car même si c’est un deuil choisi, cela reste un deuil.
Au bout de ce processus de deuil, rendu possible par l’écoute, l’estime de soi, le pardon, l’acceptation, arrive le renouveau. De son amie qui a accouché, elle reçoit un colis avec ses vêtements de grossesse et des chaussons de nourrisson, « parce qu’un jour ce sera par choix ».
Suite à la lecture du roman de Martin Winckler » le chœur des femmes », la narratrice a pu le rencontrer, et illustrer son expérience de médecin, et ce que devrait être pour lui une consultation d’interruption volontaire de grossesse bien menée.
Sous le pseudonyme de Marc, et d’Yvonne pour son assistante, le lecteur découvre le vécu des intervenants à travers ces deux personnages attachants, compétents et humains.
Dans le cas de Marc, ce qui l’a amené à pratiquer des interruptions volontaires de grossesse, est la prise de conscience de la gravité de la situation et de son urgence. La détresse des femmes, entrainant des avortements clandestins et des risques médicaux pouvant aller jusqu’au décès de la femme.
C’est là que l’histoire rejoint le moral et la politique, avec l’avant et l’après Simone Weil qui déclare « Aucune femme ne recourt de gaieté de cœur à l’avortement »
Bien que la loi sur l’avortement soit passée, le poids de la culpabilité reste, et il existe un silence autour de l’avortement et un jugement par la société. Il y’a souvent un manque d’humanité et de considération. L’autrice s’est sentie seule et triste, avec un manque de références culturelles et de paroles sur le sujet.
Pour tout acte médical, il y’a une clause de conscience, mais pour l’avortement il y’en a une en plus, ce qui réduit de facto le nombre de médecins la pratiquant.
A travers l’expérience médicale et humaine de Marc et de son assistante Yvonne, le lecteur découvre la diversité des situations des femmes. Mais également l’importance de l’humain dans les soins techniques, et le travail remarquable accompli jour après jour.
Le médecin va découvrir l’importance de répondre aux demandes des femmes, au lieu de vouloir les sauver. Il apprend sur le terrain que ce n’est pas efficace d’intervenir en médecin paternaliste par la prescription de contraceptifs. Elles reviennent pour se faire à nouveau avorter… Son aide-soignante Yvonne, lui montre l’importance d’accueillir sans porter de jugements. « Accueillir les femmes telles qu’elles sont, avec notre intégrité et la vérité de qui nous sommes. » Le médecin va développer son empathie, et se mettre à leur place pour améliorer le service médical.
Le dessin
Les dessins vont à l’essentiel et permettent aux sentiments de s’exprimer. Malgré la violence du propos, se dégage de la douceur, de la beauté.
La simplicité graphique et le choix des formes, la grandeur des cases qui varient, les couleurs laissent émerger le subtil et ce qu’il est difficile d’appréhender dans sa globalité complexe avec des mots.
Le dessin est aéré et la palette des couleurs (blanc, orange, vert, jaune) crée une ambiance et donne une légèreté au récit. Le décor est suffisant pour comprendre ou l’action se déroule et le contexte. L’absence de bordures aux cases permet de se concentrer sur les personnages et leurs corps, de varier la taille des dessins, de rendre l’album attractif visuellement.
L’ensemble de ces ingrédients permettent à l’album une fluidité, une respiration malgré un sujet compliqué.
Conclusion
Le message d’Aude Mermillon est puissant, elle nous livre que l’amour se ressent quel que soit le choix.
Dans cette histoire, toute la subtilité de la nature humaine s’y retrouve, avec le langage du corps, de l’esprit et de l’âme indissociables.
Dans son parcours, l’autrice a découvert que la maternité se choisit en accord avec soi-même, qu’il n’y a pas de bons ou de mauvais choix, mais son propre choix qui engendrera son propre cheminement. La maternité et l’avortement sont encore trop souvent soumis à un conformisme étouffant et un diktat bien-pensant (religieux, sociétal, individuel…).
Le lecteur se laisse emporter par des mots justes, bien choisis, les dessins et l’ambiance.
Les textes, les dessins, les couleurs, le rythme de l’histoire est équilibré et juste.
Il ne me reste plus qu’à féliciter et remercier Aude Mermillon pour ce magnifique album et ce partage tout en finesse.