Contrapaso
Série: Contrapaso, Tome 1
Dessinateur : Teresa Valero
Scénariste : Teresa Valero
Coloriste : Teresa Valero
Editeur: Dupuis
Février 1956, nous sommes en Espagne où règne toujours la dictature de Franco… Emilio Sanz est journaliste depuis 1939 au journal « La Capitale » où il couvre les faits divers, y compris les enquêtes judiciaires. Sanz a identifié un tueur en série qui sévit depuis qu’il est journaliste. Pour le pouvoir, il n’est pas bon de reconnaître son impuissance et Sanz assiste désabusé à la mise à mort de boucs émissaires dont il avait prouvé l’innocence. La vérité n’est pas bonne à écrire sous Franco et cela crée des tensions avec son rédacteur en chef : Fontana. Ce dernier décide de lui imposer un adjoint afin qu’il ne soit plus incontournable…
Léon Lenoir est journaliste en France, il décide de retourner travailler en Espagne. L’histoire de Léon est trouble mais son père est décédé et sa mère en section psychiatrique. Lenoir va retourner loger chez un oncle, général sous Franco, qui l’avait pris en charge. Il retrouve ses cousines sauf l’aînée, Paloma, son amour de jeunesse qui a disparu et pour laquelle règne une omerta.
Lorsque Lenoir est présenté à Sanz pour l’accompagner dans son travail, la relation est pour le moins tendue entre les deux hommes. Ils vont néanmoins travailler « ensemble » sur un meurtre qui semble un peu différent de ceux perpétrés par le sérial killer. La piste va les mener vers trois médecins : le docteur Vidal et le docteur Sarobe (neurologues et psychiatres) qui travaillent avec le psychiatre Vallejo et le docteur Bastida (gynécologue). Tous trois étaient voués à une belle carrière mais le docteur Vidal sera emprisonné pour avoir soigné des miliciens, ce qui profitera à Sarobe. Trois infirmières travaillaient pour ces médecins dont Rosa Saura, la victime du meurtre, sœur Juana et l’amie de Rosa : Martina Lopez.
Les choses vont se compliquer lorsque Bastida et sœur Juana vont être assassinées. La clinique du docteur Sarobe s’occupait des femmes dépressives de le classe aisée en les mettant sous médicaments tandis que Bsatida s’occupait des mères célibataires très jeunes dont les enfants étaient offerts à l’adoption. Sanz va demander à la cousine Paloma (dont Lenoir avait finalement retrouvé la trace) de se faire passer pour une veuve dépressive et de se faire hospitaliser afin de voir ce qu’il se passe dans cet hôpital. Tout cela révèlera des pratiques très douteuses et peu respectueuses des patientes…
Pour une fois Sanz et Lenoir vont décider de ne pas occulter cette nouvelle affaire. Avec l’aide d’un prêtre communiste, un journal clandestin va être diffusé pour révéler la vérité mais le sang n’a pas fini de couler…Difficile de résumer un récit complexe de 144 pages (et c’est le tome 1 !) mais si cette complexité rend parfois l’histoire pas toujours évidente à comprendre, elle est néanmoins riche en personnages différents qui souvent ont leur propre part d’ombre. L’intrigue est fouillée et, cerise sur le gâteau, l’auteure a eu la bonne idée de créer une « fiction réaliste ». C’est-à-dire qu’elle s’est basée sur des faits historiques et des personnes ayant existé pour élaborer un récit cohérent par rapport à cette époque particulièrement difficile pour le peuple espagnol.
Teresa Valero signe ici un album d’une très grande qualité tant dans sa précision graphique que scénaristique, la précision du dessin et sa volonté de retranscrire l’ambiance des années 50 à Madrid font que l’on s’immerge facilement dans ce polar psychologique et historique. En se basant sur des photos d’époque, l’auteure a voulu vraiment faire revivre cette époque troublée et elle le réussit très bien.
Certes on pourrait chicaner sur le fait que l’histoire est un peu trop complexe ou par rapport au fait qu’on ne ressent pas le côté oppressant de cette dictature (par rapport à un album comme Barton Fink) mais cela n’enlève rien au plaisir de lecture car le style de Teresa Valero est un régal pour les yeux. Les dialogues sont souvent assez truculents et l’on passe un bon moment de lecture.
L’album est complété en finale par un « bonus » de quelques pages où l’auteure explique sa démarche et ses recherches (le tout complété par quelques esquisses). Je conseille vivement de lire ce supplément car il rend encore mieux compte du travail de précision et de construction que Teresa Valero a mené à bien pour construire la trame de cet album. Je ne peux dès lors que mettre un coup de cœur pour Contrapaso dont j’attends avec impatience le tome 2 (même si le tome 1 constitue une histoire complète en soi) .