FRANK PE - PLUTOT DEUX FOIS QU'UNE !

Depuis le troisième tome de Zoo, on se languissait de revoir Frank Pé dans le registre de la BD. Ces dernières années, il avait enchaîné pas mal d’expositions et projets de scénographies et il n’était pas devenu rare de le voir à l’œuvre sur de grandes fresques animales, lors de festivals. Bonne nouvelle, Frank Pé revient enfin à la BD et plutôt deux fois qu’une : Spirou et Little Nemo…

Concernant Little Nemo, je travaille avec Bernard Mahé de la galerie du neuvième art à Paris. Il m’a révélé que Little Nemo était libre de droit et m’a demandé si cela m’intéressait de travailler dessus. C’est un projet fait d’expositions et de petits bouquins. Pour l’instant j’ai terminé la première expo, une douzaine de planches et d’illustrations.

Le Spirou est un travail que je prépare depuis de longues années, avant même que le personnage ne soit livré à divers auteurs. Mais l’époque, quand Tome et Janry ont repris le personnage, ils ont exigé son « verrouillage » par le contrat. Chaland en a fait les frais. Quand la collaboration s’est arrêtée, Dupuis, détenteur du personnage a ouvert les vannes pour faire une collection. J’ai grande envie de revisiter le panthéon de Franquin, je voulais un jour ou l’autre retourner dans cette cours de récré. Ce sera un Spirou plus poétique, car je suis plus attiré par le nid du Marsupilami que par leurs aventures débridées avec voitures et espaces urbains. Il y aura beaucoup d’animaux, cela se passera en ville et ce ne sera pas nostalgique, je ferai de Spirou un héros positif. C’est assez difficile car c’est un personnage grand public. Ma priorité sera la qualité, la justesse, il paraîtra quand il sera prêt, pas pour les 75 ans. J’ai écrit l’histoire et Zidrou en a fait une histoire professionnelle. Il est très bon quand il faut mélanger que ce soit de l’humour, de la profondeur, des émotions, de la poésie tout en créant des histoires classiques, bien foutues.

J’ai envie de refaire de la BD, cela me manquait. C’est douloureux d’enfermer mes dessins dans des cases, de cloîtrer tout cette énergie, mais faire de la narration de case immobile en case immobile. La magie de l’espace entre les cases, c’est une chose qu’on ne théorise pas mais à expérimenter, on voit si cela marche et on essaie de trouver les meilleurs solutions pour raconter ce qu’on a à raconter, c’est très jouissif, quelque chose que tous les dessinateurs de BD quels qu’ils soient ressentent et qui les pousse à faire ce métier tellement pénible, car il y a tellement de dessins à aligner les uns derrière les autres, dans un contexte éditorial très difficile.

Du côté professionnel, du côté des dessinateurs, on voit comment se comportent les éditeurs et ceci à plus long terme que le lectorat qui lui voit de plus en plus de titres. C’est une illusion de dire que tout va bien dans la BD. Les choses vont mal. Les éditeurs sont devenus des commerciaux, pour voir les titres qui marchent, ils en lancent une centaine sur le marché et gardent ceux qui vendent. Ils ne soutiennent plus les auteurs, il n’y a plus d’échange. Ils s’entendent entre eux pour descendre les prix à un stade qui est intenable pour les dessinateurs qui deviennent incapables de continuer, sans doute parce qu’ils tiennent plus compte des actionnaires à payer, des belles voitures. Leur politique de relation avec les auteurs est devenue une catastrophe, les auteurs se sentent méprisés. C’est grave…

Les éditeurs sont en train de se griller auprès des auteurs. Les gros éditeurs sont trop rigides pour s’adapter aux nouveaux médias, ils pensent que cela va continuer comme avant. Ils se permettent en plus dans un monde ultra libéralisé de se comporter avec les auteurs comme avec n’importe quel fournisseur de biens matériels. Or il doit y avoir partenariat mais ils nous prennent de très très haut.

La négociation avec Dupuis a été très très difficile pour le Spirou. Je vais le faire, pas pour l’éditeur mais pour le plaisir et pour mon public. J’ai 35 ans de métier et c’est un Spirou - il y a pire ! - je ne risque pas trop de me casser la figure mais j’aimerais que cela se passe autrement.

alt
Marchand et Moebius ont aussi travaillé sur Little Nemo et il y eut même un dessin animé. Ce que je reproche au dessin animé c’est qu’il n’était plus dans le registre des rêves, il était dans une logique de grande histoire américaine avec le bien et le mal, le passage vers l’âge adulte… Nemo, c’est du rêve, qui travaille dans inconscient. Il y a des dragons dans les rêves mais leur comportement peut être inattendu car le rêve est toujours bizarre, il n’y pas plus fondamentalement poétique et initiatique mais dans un sens profond, que je veux retrouver d’une manière ludique et joyeuse. C’est un univers que je fais mien, je vais développer des choses qui me tiennent à cœur, ce sera du grand format avec beaucoup d’animaux mais peu d’architecture comme en faisait Windsor McCay. Je reste dans le registre de ce que je fais de mieux. Cela donnera lieu à une petite édition avec quatre expos qui vont se suivre et cela fait nous en proposerons la somme à un grand éditeur, qui n’aura rien d’autre à faire que de l’éditer. Nous envisageons aussi de faire voyager ces expos, comme une expo culturelle, dans des lieux divers comme le CBBD, Angoulême...

Identification (2)